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Appartient au dossier : Les visages du documentaire canadien

Winnipeg, terrain d’exploration cinématographique

Le Winnipeg Film Group est une vitrine du cinéma indépendant des provinces du Manitoba, du Saskatchewan et de l’Alberta. Guillaume Lafleur, directeur de la diffusion, de la programmation et des publications à la Cinémathèque québécoise, décrit ce collectif ainsi que la manière dont les cinéastes de Winnipeg convoquent la mémoire et le présent de la ville. Plusieurs de ces films sont à découvrir dans le cadre du cycle « Au Canada… Traversée documentaire » organisé par la Cinémathèque du documentaire à la Bpi à l’automne 2022.

Photo en noir et blanc d'un homme et d'une femme en manteaux de fourrure avec, en arrière plan, des têtes de chevaux enlisés dans la neige
My Winnipeg, de Guy Maddin (2007) © Buffalo Gal Pictures, Documentary Channel, Everyday Pictures

Fondé en 1974, le Winnipeg Film Group a été animé pendant longtemps par Dave Barber, programmateur et projectionniste. Autour de cette figure tutélaire ont gravité plusieurs générations de cinéastes aventureux comme John Paizs, Ed Ackerman, Solomon Nagler, Matthew Rankin et plus récemment la cinéaste métis Rhayne Vermette. Ils y ont exploré toutes les formes du cinéma expérimental, en regardant autant du côté de l’animation et de la fiction que du documentaire.  

Une institution locale

Plus qu’un collectif, le Winnipeg Film Group est devenu au fil du temps une institution. Sa principale enseigne est la Cinematheque, salle d’art et d’essai qui accueille plusieurs festivals initiés par le collectif, dont le plus connu est WNDX, consacré au cinéma expérimental. Cet événement mis en place il y a dix-sept ans peut recevoir régulièrement, grâce à sa situation géographique, des créateurs du Midwest américain. Il se distingue ainsi nettement des autres événements de ce type à travers le Canada, davantage focalisés sur l’axe est-ouest. 

De plus, la salle de la Cinematheque est emblématique de l’ambiance à la fois singulière et familière qui se dégage de la ville. Elle peut accueillir tout au plus une centaine de spectateurs, ce qui en fait un lieu propice pour des échanges chaleureux et attentifs avec les cinéastes invités.

Cet aspect illustre bien la philosophie du Winnipeg Film Group, inscrite de plain-pied dans l’histoire des centres d’artistes au Canada depuis une cinquantaine d’années. La question de la communauté y est centrale – non seulement celle des créateurs, mais aussi celle des spectateurs, ainsi que d’un potentiel plus large public sollicité par une approche concertée de médiation culturelle, au cœur de la « mission » du groupe. 

Le style de Winnipeg

Au-delà du contexte dans lequel les artistes et le milieu cinéphile de Winnipeg évoluent, nous instruisant sur les films qui s’y font, il y a aussi des cinéastes incontournables. Parmi ceux-ci, un cinéaste hors norme et célébré : Guy Maddin. Bien qu’il ne soit pas constamment dans les parages du Winnipeg Film Group, Guy Maddin hante les lieux. En effet, son cinéma n’est pas simplement une source d’inspiration pour les créateurs de la région, mais cristallise également un état d’esprit tout winnipegois : un constant décalage entre les ambitions historiques de la ville et la simple et parfois dure réalité. 

Désignée à la fin du 19e siècle comme la « Chicago du Nord », Winnipeg a peu à peu été coupée dans son développement, d’abord par le ralentissement progressif des activités ferroviaires au profit de nouvelles voies maritimes, puis par la Grande Dépression. Ces éléments déterminants sont visibles dans l’architecture ambitieuse du centre-ville et dans ses alentours, marqués par le monde industriel au début du 20e siècle. Ils rappellent aussi une mythologie de l’Ouest dont la conquête semble inachevée. 

Les films de Guy Maddin, et notamment son grand œuvre dédié à sa ville, My Winnipeg (Winnipeg, mon amour, 2007), entremêlent l’onirisme et un souci scénographique s’accommodant de tournages en studio. À cette mise en scène soignée sont associées des images d’archives, dont des films de famille. Le cinéaste met cette approche formelle hybride au service de scénarios qui reconstituent par bribes l’imaginaire mémoriel de Winnipeg. Il rend ainsi compte avec humour de « l’esprit » d’une époque disparue. Lorsqu’il est question de la « réalité » de Winnipeg dans ses films, sa mise en scène se met au service d’un matériau autobiographique ou éminemment subjectif, aux contours flous propres aux souvenirs. Ces récits oniriques à la première personne lui permettent de s’extraire d’une approche documentaire de la ville, bien que son témoignage de cinéaste ait une valeur documentaire en soi. 

Archives du film, mémoire et politique

L’histoire spécifique de Winnipeg, son urbanisme singulier, un peu en friche, inabouti, inspirent nombre de cinéastes. Ils se préoccupent de la mémoire des lieux et sont attachés à la ville actuelle sous des aspects intimes, mais aussi au niveau de l’archive. C’est ainsi que la cinéaste Paula Kelly, dans son court métrage Waiting for the Parade (2008), fait s’entrechoquer des témoignages qui commentent des images du centre-ville d’il y a plus de cinquante ans et un discours social appelant à une mobilisation citoyenne pour habiter à nouveau le centre, progressivement déserté par l’étalement urbain. La mémoire des lieux et les films de sources diverses provenant des archives municipales dictent un projet social encore à venir. Winnipeg demeure une hypothèse urbaine, un projet dont la finalité reste à inventer.

La contribution de plus en plus importante des communautés autochtones au cinéma documentaire manitobain déplace quant à elle la question de l’archive sur un terrain directement politique, en la reliant aux enjeux de réappropriation et de revalorisation culturelles. Un autre registre d’images est alors exploré. Par exemple, la cinéaste autochtone Jennifer Dysart, dans Caribou in the Archive (2019), réemploie la vidéo tournée en VHS d’une chasse au caribou, et la compare à la représentation des Premières Nations dans certains films de l’Office national du film du Canada (ONF). Cette fois, il ne s’agit pas simplement de souligner la valeur mémorielle d’une archive filmée, mais plutôt de mettre en avant certaines images mésestimées (la vidéo non-professionnelle), méprisées par le cinéma traditionnel pour des raisons politiques et esthétiques. L’approche des films en provenance de Winnipeg a donc encore tout pour nous surprendre.

Publié le 24/10/2022 - CC BY-SA 4.0

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