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Appartient au dossier : Dans la bulle de Posy Simmonds

Dans la bulle de Posy Simmonds #3 : les dessins satiriques

Tout en cultivant son allure de lady, Posy Simmonds est une observatrice précise et parfois féroce de ses contemporain·es et du monde qui l’entoure. Grande amatrice de dessins satiriques depuis sa jeunesse, elle renouvelle, à travers ses romans graphiques et son travail pour la presse, une certaine tradition humoristique anglaise. Balises rappelle son parcours et ses inspirations pour accompagner l’exposition « Posy Simmonds. Dessiner la littérature », organisée par la Bpi du 22 novembre 2023 au 1er avril 2024.

Dessin représentant Margaret Thatcher, reconnaissable à sa coiffure et son sac à main, vêtue d'une armure, devant un château rose
Posy Simmonds, « King Ironsides » (13 avril 2013) © The Guardian

Une enfance dans le dessin

Dans la ferme familiale du Berkshire où Posy Simmonds a grandi, trônait une grande bibliothèque. Parmi les livres qui l’ont très tôt fascinée se trouvaient quelques éditions reliées de Punch. Ce magazine hebdomadaire humoristique, publié de 1841 à 1992, rassemblait des textes littéraires accompagnés de nombreuses gravures et dessins satiriques. De Richard Doyle à Ronald Searle en passant par George du Maurier et John Leech, tous les grands caricaturistes britanniques sont passés par les pages de ce journal, qui se vendait à près de 200 000 exemplaires dans les années 1950. Posy Simmonds raconte à Paul Gravett avoir commencé très jeune à copier ces dessins, puis inventé ses propres histoires autour des personnages de Punch. En 1972, elle aura d’ailleurs l’occasion  de participer à un unique numéro réalisé par des femmes : une exception pour ce magazine qui, par ailleurs, publie essentiellement des œuvres masculines.

Après la Seconde Guerre mondiale, ce sont aussi les comic books américains qui déferlent en masse sur la Grande-Bretagne, via les soldats stationnés dans les bases de l’US Air Force. Les comics rencontrent vite un grand succès, au point d’inquiéter à la fois l’Église d’Angleterre et le Parti communiste britannique, qui militent pour leur interdiction. La jeune Posy Simmonds n’en a cure et se régale de ces dessins outranciers et hyperexpressifs. Elle imagine très vite ses propres histoires en cases et en bulles et découvre ainsi sa vocation. La lecture de Punch et des comics donnent à Posy Simmonds le goût du dessin, mais aussi du texte et de la typographie, si bien qu’elle se dirige ensuite vers des études de graphisme.

De la presse…

Le parcours professionnel de Posy Simmonds débute par des couvertures de livres et des illustrations pour le Times, entre autres, mais c’est avec un album satirique qu’elle commence à se faire remarquer. Posy Simmonds Bear Book, sous couvert de raconter les aventures d’un ours et d’un pingouin en peluche flirtant avec une poupée plantureuse, multiplie les allusions salaces et les sous-entendus sexuels. Ce premier album lui vaut son premier contrat régulier avec The Sun, un journal populaire et volontiers racoleur. 

Pendant les années 1970, Posy Simmonds travaille pour divers journaux, dans lesquels elle publie des dessins humoristiques, caricaturant les mœurs britanniques ou illustrant des faits de société, le plus souvent en noir et blanc. On y retrouve l’influence des grands caricaturistes de l’époque comme Ronald Searle, pour lequel elle garde une grande admiration. Ce dessinateur, très prolifique, a publié dans la presse britannique et américaine des caricatures et des reportages illustrés. Son trait spontané et rapide permettait de rendre aussi bien les expressions d’un visage, que les rues ou les paysages. Posy Simmonds en a probablement gardé ce souci du détail insolite.

En 1977, elle est retenue pour un strip quotidien dans les pages féminines du Guardian. Elle est cette fois libre de son sujet et choisit de raconter les aventures de trois anciennes camarades de pensionnat. La série s’intitule « The Silent Three of St Botolph’s » (Les Trois Silencieuses de St Botolph) et met en scène les aventures policières et humoristiques de ces trois femmes, désormais adultes et mères de famille. Le succès mitigé des premiers épisodes conduit Posy Simmonds vers un autre type de récit : tout en gardant ses trois héroïnes, elle s’attache à dévoiler leur vie de famille et leurs déboires conjugaux. Cette fois, la série accroche les lecteur·rices du Guardian, qui se reconnaissent dans cette caricature de leur propre mode de vie. Posy Simmonds épingle en effet avec humour les petites ou grandes hypocrisies de la classe moyenne de gauche, soucieuse de toujours bien faire mais aux prises avec des difficultés plus prosaïques. Wendy Weber doit se confronter aux discours verbeux de son époux universitaire, à qui les moindres faits et gestes donnent l’occasion d’étaler son érudition. Elle doit également composer avec Belinda, sa jeune ado rebelle, qui change régulièrement de style vestimentaire. Enfin, elle et ses amies doivent également faire face à une misogynie constante et mal dissimulée derrière un féminisme de façade… Au fil des ans, le succès de la série permet à Posy Simmonds d’améliorer son style et d’enrichir son vocabulaire expressif et satirique. Elle glisse aussi périodiquement dans la série des références littéraires ou picturales, parodiant par exemple des tableaux de Pieter Brueghel ou de James McNeill Whistler.

Cette série sur Mrs Weber rappelle aux lecteur·rices français·es celle de Claire Bretécher sur Les Frustrés : parue dans Le Nouvel Observateur de 1973 à 1981, celle-ci offre également un miroir grossissant à la bourgeoisie intellectuelle. Les deux dessinatrices se sont croisées sans vraiment faire connaissance, ce qui n’empêche pas Posy Simmonds de confesser une grande admiration pour son aînée.

Parallèlement à la série consacrée à Mrs Weber, Posy Simmonds publie en 1981True Love, qui se moque de l’amour romantique en parodiant les BD pour adolescent·es, et annonce ses futurs romans graphiques. De 2002 à 2004,  elle propose une nouvelle série humoristique avec Literary Life, qui dépeint les dessous pas toujours reluisants du monde littéraire, son snobisme, ses écrivain·es narcissiques et pédant·es, autant attaché·es à leurs succès mondains et financiers qu’à leur réussite artistique. 

Une maison typiquement normande, à différentes saisons
Posy Simmonds, Gemma Bovery (2000) © Denoël Graphic

…. aux romans graphiques

Tout en s’inscrivant dans une veine moins directement comique et caricaturale, les trois romans graphiques Gemma BoveryTamara Drewe et Cassandra Darke démontrent d’une autre manière l’humour, parfois cruel, de Posy Simmonds. Inspirée par trois classiques de la littérature, elle met au cœur de ces récits des personnages féminins qui cherchent leur voie en jonglant entre désirs et frustrations, réussite professionnelle et épanouissement personnel. Le dessin de Posy Simmonds est cette fois plus réaliste, les personnages et les situations plus complexes mais elle ne manque pas de relever les petits décalages entre les discours et les actes, les dérapages misogynes, la concupiscence déguisée de bonnes intentions et la jalousie qui marque les rapports humains. Elle s’attache à chaque détail, révélant l’affectation d’une décoration faussement rurale, les manèges de la séduction, ou la déchéance des rues londoniennes. 

Posy Simmonds est avant tout une grande observatrice, qui croque les personnes aperçues dans la rue et note les tournures de phrases et le vocabulaire captés au gré des conversations entendues au restaurant ou dans le bus. Tout ce matériel nourrit ses personnages et façonne les situations cocasses, et elle n’a pas toujours à beaucoup forcer le trait pour faire surgir l’humour.

Publié le 20/11/2023 - CC BY-SA 4.0

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