Sélection

Appartient au dossier : Press Start 2020 : les mondes post-apocalyptiques

Les villes détruites, terrain de jeu post-apo

Dans les jeux vidéo post-apocalyptiques, des environnements urbains en ruines ou envahis de plantes et d’animaux sauvages sont souvent utilisés pour mettre en scène les aventures des personnages et symboliser les fragilités de l’humanité. Philippe Gargov et Margot Baldassi, du cabinet de conseil en prospective urbaine Pop-up urbain, proposent à Balises une sélection de jeux qui se déroulent dans des villes ravagées, pour accompagner l’édition 2020 du festival Press Start, dédiée aux mondes post-apocalyptiques.

Derrière les ruines et l’affliction, les villes-épaves sont de formidables galeries affichant nos craintes et soulignant nos faiblesses. La sélection qui suit donne à voir quelques-uns des imaginaires urbains qui traversent le jeu vidéo post-apocalyptique. Chacun de ces univers contribue, à sa manière, à nourrir le regard que l’on peut porter sur les enjeux portés par le genre post-apo : crises écologiques ou militaires, résilience humaine et animale, reconstruction urbaine ou rurale, etc. Une mine d’or pour comprendre le monde au prisme de son possible effondrement.

Publié le 15/09/2020 - CC BY-SA 4.0

Fallout, Black Isle Studios puis Bethesda Softworks, 1997-2018

Dans Fallout, le joueur ou la joueuse évolue dans un monde rétro-futuriste violent, résultant d’une uchronie maintes fois imaginée : la guerre froide ne s’est pas achevée au début des années quatre-vingt-dix mais s’est prolongée sur plusieurs décennies. Une guerre atomique éclate dans les années deux-mille-soixante, jusqu’à la destruction partielle de la planète. La majorité de la population mondiale succombe, une partie est transformée en mutants ou en « goules » (zombies) et certains robots se rebellent quand la faune, la flore et les cours d’eau se retrouvent irradiés.

L’environnement des différents opus de la saga dresse un portrait à la fois vintage, barbare et dégénéré des États-Unis. Autoroutes urbaines, banlieues, drive in, diners, stations-services, usines, stades de baseball, gares, commissariats, églises sont tour à tour occupés et reconvertis en bases stratégiques et micro-collectivités. Les baraquements, bivouacs, feux de camps et modestes potagers tapissent chaque recoin du territoire, soulignant l’anarchie généralisée de ce monde de violence et de barbarie finement incarné.

En proposant un système poussé de choix tout au long de son périple, la saga plonge les joueuses et joueurs dans un univers des plus réalistes. Série magistrale de jeux de rôle, ce Mad Max post-atomique a logiquement marqué l’histoire du genre, en s’imposant comme l’un des grands canons post-apocalyptique.

Tokyo Jungle, PlayStation C.A.M.P. et Crispy's, 2012

Dans un futur indéfini, un événement méconnu a éradiqué l’espèce humaine de la surface de la Terre. Chaque interstice, aussi bien urbain que rural, est totalement réensauvagé. Les joueurs et joueuses se voient transportés dans une Tokyo métamorphosée, gangrenée par une végétation indomptable et investie par des meutes d’animaux errants. En suivant des objectifs précis, ils sont amenés à contrôler toutes sortes de bêtes, du lion au loulou de Poméranie. C’est à travers les yeux de ces dizaines d’espèces animales qu’ils pourront mettre au jour les mystérieuses raisons de l’extinction des humains.

Malgré des graphismes parfois sommaires, Tokyo Jungle propose une modélisation passionnante de la capitale nippone, et plus largement de l’urbanité japonaise. Loin des clichés de Tokyo que l’on a l’habitude de voir dans de nombreuses œuvres, la capitale devient ici un théâtre à la fois dépeuplé et bestial, représentation très littérale d’une « ville fertile » poussée à l’excès. Les gratte-ciels sont submergés par une verdure irrégulière, les véhicules abandonnés deviennent des balconnières géantes et engorgent les immenses carrefours tokyoïtes. Dans les gares et les immeubles nichent désormais moult bestioles, remplaçant les urbanités des humains par celles des animaux : chasse, reproduction, nidification… Une autre forme de routine métro-boulot-dodo !

Loin des blockbusters américains généralement anthropocentrés, ce jeu vidéo japonais pousse le genre post-apocalyptique dans des retranchements où peu d’œuvres avaient osé s’immiscer auparavant. Une sorte de version améliorée de La Planète des Singes, où le game design joue pleinement son rôle immersif.

Final Fantasy VI, Square Co., 1994

La folie destructrice de Kefka, antagoniste ultime de Final Fantasy VI, a conduit le monde à sa perte. Ne reste plus que le « World of Ruin », un monde de ruines dans lequel les protagonistes tentent de reconstruire ce qu’ils peuvent, et de se reconstruire eux-mêmes. C’est dans cet univers que le joueur ou la joueuse évolue dans la dernière partie du jeu, en parcourant le monde afin de reconstituer un groupe de héros pour mettre un point final à la folie destructrice de Kefka.

Monument absolu du J-RPG, le jeu de rôle à la japonaise qui fit les grandes heures des consoles 16-bits, Final Fantasy VI n’est pas un jeu post-apocalyptique à proprement parler. Mais il en offre un témoignage particulièrement marquant à travers le Monde des Ruines, qui s’intègre dans la trame narrative de l’œuvre. Celui-ci se matérialise littéralement sous les yeux du joueur qui, juché au sommet du Continent flottant, ne peut qu’assister, impuissant, à la destruction du Monde de l’Équilibre au sein duquel il évoluait jusqu’alors. La suite est une histoire de résilience : le scénario invite le joueur à redécouvrir cet univers de désolation pour retrouver, l’un après l’autre, les différentes héroïnes et héros qui constituaient son groupe. L’effet miroir entre les deux mondes, équilibre vs. chaos, permet de prendre la pleine mesure des effets destructeurs qui pèsent sur le monde. La folie d’un seul homme sert alors d’allégorie à peine voilée de la menace écologique, comme souvent dans les J-RPG de l’époque. Final Fantasy VII prolongera d’ailleurs cette idée quelques années plus tard.

À la différence d’autres univers post-apocalyptiques, le Monde des Ruines grave son empreinte indélébile dans la mémoire collective des joueurs, en donnant à voir l’avant et l’après d’une apocalypse. Un bijou de narrative design, qui permet au joueur de vivre le désenchantement du monde comme rarement le jeu vidéo ne l’avait proposé.

The Last of Us, Naughty Dog, 2013

Au cœur d’une aventure haletante située dans un monde ravagé vingt ans plus tôt par un champignon monstrueux, le duo jouable, un homme d’une cinquantaine d’années et une adolescente de quatorze ans, tente de survivre et de retrouver confiance en l’Autre. À pied ou à cheval, les protagonistes traversent des États-Unis situés dans les années deux-mille-trente pour échapper aux enragés infectés par une substance fongique inconnue autant qu’aux bandits de grand chemin. Dans cette ambiance proche de The Walking Dead, les codes sociaux sont redéfinis à chaque nouvelle rencontre, les combats ne cessent de s’intensifier et les scènes de dialogues étoffent de façon remarquable cet univers dévasté.

Cette aventure se déroule au milieu de paysages exceptionnels. Les heures à sillonner des forêts touffues mènent les personnages éreintés aux abords de villes américaines déchues. Au lieu de renfermer hospitalité et ressources civilisées, le danger et la vanité de notre société hantent les murs de ces cités rongées par une nature luxuriante et vengeresse.
La ville semble d’autant plus hostile qu’elle s’inspire directement de villes étasuniennes existantes (Pittsburgh, Salt Lake City, Seattle dans The Last of Us 2), reproduites avec un réalisme qui force l’admiration. On se plaît à admirer cette végétalisation urbaine aussi impressionnante que menaçante. Comme souvent dans le genre post-apocalyptique, la comparaison entre la ville réelle et sa version fictionnelle, dont il ne reste que les vestiges des immeubles chancelants, permet au joueur ou à la joueuse de prendre le pouls de l’effondrement. La figure de la ville détruite, véritable cathédrale du genre post-apocalyptique, fait figure de prélude presque enchanteur à la fin du monde.

The Last of Us est sans nul doute le plus emblématique des jeux vidéo post-apocalyptiques. Considéré comme un chef-d’œuvre par la critique et les joueurs, il rassemble tous les ingrédients incontournables du genre : les décors les plus grandioses du cinéma (Je suis une légende, 2007), une intrigue proche de l’un des canons de la littérature post-apo (La Route de Cormac McCarthy, 2006) et un gameplay survival horror terriblement immersif.

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