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Appartient au dossier : La vidéo sur les réseaux sociaux

La vidéo sur les réseaux sociaux #2 : les modèles économiques

Pour attirer internautes et créateur·rices de contenus, les réseaux sociaux multiplient les manières de monétiser les contenus vidéo. Leur système repose principalement sur les annonces publicitaires, et oscille entre gratuité, abonnements et micro-transactions. Cet été, Balises vous propose un aperçu de leurs modèles économiques.

Mohamed Hassan, via Pixabay

En 2022, les réseaux sociaux attirent toujours les annonceurs, qui investissent près de 226 milliards de dollars en campagnes publicitaires. L’enjeu est de taille, puisque les plateformes mettent à leur disposition les données personnelles, notamment socio-démographiques, culturelles ou géographiques, de quelques 4,9 milliards d’utilisateurs·rices quotidiens·nes. Meta (Facebook, Instagram) domine le marché de la publicité en ligne avec 45 % de parts de marché. La vidéo publicitaire reste l’outil marketing le plus employé sur les réseaux sociaux en 2023. Elle est plébiscitée par 96 % des annonceurs. Pour diversifier leurs sources de revenus, les réseaux sociaux, TikTok en tête, mettent actuellement en place une panoplie de fonctionnalités et d’outils permettant de monétiser la plupart de leurs contenus.

Des modèles basés sur la publicité 

En 2007, Youtube et Dailymotion sont les premières plateformes de streaming à se doter d’un modèle économique reposant sur la publicité. Les autres réseaux sociaux ont progressivement suivi ce système. Aujourd’hui, la majeure partie de leur chiffre d’affaires provient de leurs régies publicitaires. Ils sont ainsi dépendants des annonceurs pour générer des revenus. Chaque réseau social ayant sa spécificité, les annonceurs définissent leurs campagnes publicitaires en fonction d’une durée, d’un budget et d’une audience ciblée. Les tarifs ne sont pas les mêmes selon l’âge, le sexe, les centres d’intérêt et l’intention d’achat des utilisateur·rices. 

Le système de tarification varie selon que l’internaute ait vu ou cliqué sur la publicité. L’annonceur est facturé lorsque l’utilisateur·rice visionne sa publicité au minimum 30 secondes ou si elle atteint un total de 1 000 vues. Sur Youtube, une vue coûte en moyenne à l’annonceur entre 0,05 et 0,10 centime d’euro, soit entre 50 et 100 euros pour 1 000 vues. En comparaison, chez Dailymotion, 1 000 vues coûtent 6 euros. Le format d’annonce le plus employé actuellement est le in-stream, c’est-à-dire un film publicitaire intégré directement au début, au milieu ou à la fin d’une autre vidéo. Elle peut être désactivable ou non-désactivable. Les annonceurs la privilégient car elle génère davantage de clics et de meilleurs scores d’attention. D’autres, comme la bannière Masthead, d’une durée de 30 secondes, et le Bumper – vidéo de six secondes –, permettent de gagner en notoriété et en visibilité.

Certains réseaux sociaux ont leurs spécificités, comme Instagram qui positionne des encarts publicitaires dans le flux de stories des internautes. Ces annonces ne s’affichent que sur mobile et bénéficient des fonctionnalités propres à la plateforme, comme les filtres, les effets vidéo, les gifs et les stickers. Elles font apparaître des messages call-to-action pour inciter les internautes à acheter. Plus récemment, le reel – vidéo courte de moins de 90 secondes –, fait l’objet de placements publicitaires. Il est davantage mis en avant par l’algorithme d’Instagram et donc privilégié par les annonceurs. Comme sur les stories, les publicités sur les reels peuvent être commentées, partagées, aimées. Instagram facture aux alentours de 64 centimes d’euro le clic et 6 euros les publicités qui atteignent 1 000 vues.

D’autres plateformes comme TikTok, intègrent les publicités de manière plus discrète, en les rendant semblables à des contenus créés par les utilisateur·rices. C’est le cas du format vidéo in-feed qui apparaît directement dans le fil d’actualité. Fonctionnant sur le principe du call-to action, cette vidéo promotionnelle fonctionne comme un stop-scroller. La plateforme mise aussi sur des formats publicitaires ludiques et participatifs comme le hashtag challenge où les marques encouragent leur audience à réaliser des défis au moyen de hashtags créés pour l’occasion. La récente notoriété de TikTok attire de plus en plus d’annonceurs, permettant au réseau de proposer une tarification publicitaire plus élevée que ses concurrents. Un budget minimum de 50 euros par jour en moyenne est nécessaire pour se démarquer. Les publicités spécifiques, comme le hashtag challenge, sont plus chères – près de 130 000 euros pour une campagne de 6 jours.

Projection des revenus publicitaires annuels pour 2022, WARC via Retail Media Market, CC BY-ND

La course à la monétisation 

Le modèle économique des réseaux sociaux repose également sur les contributeur·rices et les influenceur·euses, qui seraient près de 165 millions dans le monde. Les programmes de monétisation de leurs contenus se multiplient et proposent toujours plus de possibilités de rémunération. Chaque réseau social essaie de se démarquer pour les attirer et les fidéliser. Le programme de Youtube (Youtube Program Partner), créé en 2007, reverse, aux créateur·rices les plus influent·es, 55 % de l’argent rapporté par la diffusion des publicités avant et pendant les vidéos. Il s’agit du seul réseau qui propose un fonds de 100 millions de dollars aux contributeur·rices de son site. Youtube a pour objectif de passer de 2 millions à 3 millions de créateur·rices rémunéré·es d’ici à la fin de 2023. 

L’arrivée de TikTok en 2017 incite désormais Youtube à monétiser les contenus courts. La plateforme propose 45 % de redistribution des revenus publicitaires pour ce format. Pour être éligible à ce programme, les créateur·rices doivent avoir 1 000 abonné·es et enregistrer 10 millions de vues au cours des 3 derniers mois. Ceux qui ne présentent pas ces caractéristiques pourront gagner de l’argent grâce à des abonnements, des conseils ou des ventes de produits dérivés. Actuellement, Youtube propose de rémunérer les shorts à hauteur de 100 à 10 000 dollars, selon l’audience et l’engagement. À titre de comparaison, l’application TikTok propose 1 dollar pour 1 000 vues et dispose d’un fonds monétaire destiné aux créateur·rices. La plateforme a pour objectif de financer la création de contenus et de récompenser les meilleur·es streamer·euses. Il a pour objectif de financer la création de contenus et de récompenser les meilleurs streamer·euses. En Europe, le réseau social a investi 60 millions d’euros dans ce projet. 

Pour diversifier leur système de monétisation, les plateformes expérimentent également l’abonnement facultatif, à l’image d’Instagram qui donne accès à des contenus exclusifs ainsi qu’à des stories et des chats privés. De son côté, Twitch rend payant l’accès aux lives exclusifs et aux replays, pour fidéliser une communauté d’utilisateur·rices autour de leurs streamer·euses favori·es. La plateforme s’est aussi dotée d’une monnaie virtuelle, appelée « bits », qui peut être utilisée sous forme d’emojis ou de cadeaux. TikTok applique également ce système avec le « coin », utilisable uniquement sur la plateforme. À terme, les réseaux sociaux envisagent de prendre des pourcentages sur ces dons et générer ainsi des revenus supplémentaires.

Chiffre d’affaires mondial de la publicité en ligne par segment, en milliards de dollars (Prévisions de 2019 à 2023), Statista Digital Market Outlook,
CC BY-ND

Une économie fragile 

Ces modèles fragiles doivent régulièrement être remis en question et réorganisés. La baisse des revenus publicitaires conduit par exemple Meta à se doter d’un système d’abonnements payants. La maison mère a l’intention de créer, à terme, un modèle hybride où de plus en plus de services et de fonctionnalités sont monétisés. Twitter a également connu une perte de ses revenus publicitaires lors de la crise du covid-19. Le rachat par l’actionnaire Elon Musk, en 2022, a aggravé la situation, entraînant le départ de nombreux annonceurs et des licenciements massifs de salarié·es. Comme Snapchat, cette plateforme est à la recherche d’un modèle économique pérenne. Aucune des deux plateformes ne dégage suffisamment de bénéfices, ce qui les entraîne vers un système d’abonnement. 

Dans ce contexte, un changement de paradigme s’opère progressivement. Le modèle de la gratuité évolue vers celui des micro-dons et des micro-transactions. Les internautes qui veulent un contenu de qualité, doivent verser une certaine somme pour y accéder. L’économie de l’attention, où l’internaute est considéré comme le produit, est en passe d’être remplacée par l’économie de la création. Celle-ci repose principalement sur un circuit de financement court entre l’usager·ère et les créateurs de contenus. Notamment par des sites comme Patreon ou OnlyFans sur lesquels se créent des communautés de fans autour de projets en cours. Ces plateformes constituent de nouvelles sources de revenus pour les créateur·rices de contenus, qui ont ainsi l’opportunité de se diversifier pour ne pas dépendre intégralement du financement par la publicité des réseaux sociaux. 

Trouver une relative stabilité économique est complexe pour les réseaux sociaux. L’équilibre entre gratuité et abonnement est toujours une problématique. Le modèle basé sur la publicité trouve ses limites, car beaucoup d’utilisateur·rices disposent désormais d’ad blockers et sont conscient·es du traitement de leurs données personnelles. De plus, le règlement européen de protection des données se durcit et sanctionne les contournements.

Publié le 07/08/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Le Grand Livre du marketing digital

Claire Gallic, Rémi Marrone
Dunod, 2020

Ouvrage détaillant les outils de marketing employés en ligne. Un chapitre, relatif aux modèles économiques des réseaux sociaux, aborde la question de la gratuité et des abonnements.

Consultable sur Cairn.info, à la Bpi

 

YouTube, Twitch et cie : les vues pour seules devises | France Culture, 17 mai 2023

Le podcast Entendez-vous l’éco se propose d’analyser les enjeux économiques du marché de la création de contenus. Les intervenant·es expliquent le fonctionnement du système d’abonnement et de partage des revenus de Twitch. Iels rappellent également le statut juridique des créateur·rices de contenus et la place qu’iels occupent dans la sphère du marketing d’influence. Selon le ministère de l’Économie et des Finances en France, iels seraient près de 150 000 à exercer ce métier.

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