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Appartient au dossier : Le regard immersif de Jean-Charles Hue sur les communautés

La caméra au cœur des rapports hommes-femmes

Que ce soit au sein de la communauté yéniche du nord de la France ou au cœur de la Zona Norte de la ville mexicaine de Tijuana, le cinéaste Jean-Charles Hue filme des rapports hommes-femmes sous tension. Balises profite de la rétrospective consacrée au cinéaste lors de l’édition 2024 du festival Cinéma du Réel, du 22 au 31 mars à la Bpi, pour les décrypter.

Une femme a la tête posée sur le ventre d'une homme
La mort vient sans prévenance (2020), Jean-Charles Hue – Crédit photo : Les Films d’Avalon.

Entre attraction et répulsion, les couples dans les films de Jean-Charles Hue s’affrontent, se déchirent, se parlent mal et pourtant s’aiment. Le réalisateur s’introduit dans l’intimité des caravanes au sein des campements yéniches, où les femmes, cantonnées aux tâches ménagères, subissent de la part des hommes des agressions verbales (Perdonami mama, 2004 ; Y’a plus d’os, 2006 ; Un ange, 2005). Il suit dans les rues de Tijuana, au Mexique, les déambulations de prostituées, en proie à la violence des souteneurs, des clients ou des policiers (Tijuana Tales, 2017 ; Topo y Wera, 2018 ; The Soiled Doves of Tijuana, 2022).

De part et d’autre du globe, quel que soit le lieu où Jean-Charles Hue plante sa caméra, il filme des rapports hommes-femmes à la fois sous tension et emprunts de tendresse. Les mots prononcés, les invectives et les gestes témoignent de la difficulté à communiquer et de la brutalité des relations entre les genres. Pourtant, certains regards et comportements révèlent l’affection.

Espaces masculins, interdits féminins

La caméra documentaire de Jean-Charles Hue parcourt des espaces féminins et masculins très précisément délimités et hermétiques. Dans les campements gitans aux alentours de Beauvais, la voiture et l’avant du camion sont des lieux réservés aux hommes. Les cousins et amis écoutent ensemble de la musique, boivent et fument des joints et n’aiment pas être dérangés par une épouse. « Tu arrêtes de me casser les couilles et tu vas te coucher. J’aime pas me faire agresser comme ça. Dégage. Dégage », lance d’ailleurs un des gars à une perturbatrice dans Perdonami mama. De même, lors des beuveries masculines, l’arrivée impromptue de la femme d’un des protagonistes se solde par une agression en règle de celle qui a interrompu les festivités au coin du feu dans Y a plus d’os : « Qu’est-ce t’as à ramener la femme ? Sors-moi le fusil ! La femme, je la pulvérise ! » L’intrusion du sexe opposé dans l’espace masculin réservé est perçue comme la transgression ultime de la frontière entre les genres.

À Tijuana, Jean-Charles Hue filme les prostituées dans la rue ou la chambre, des espaces où elles font commerce de leur corps. Le tapin pour les femmes, le pouvoir pour les hommes. Là encore, le cinéaste décrit une répartition genrée, celle propre à l’organisation de la prostitution qui va de pair avec le narcotrafic. Dans Tijuana Tales (2017), le gros plan d’une rose rouge enfermée sous une cloche en verre semble à lui seul résumer le lot des Mexicaines du quartier de la Zona Norte.

Mots aigres et gestes tendres

« Une femme pucelle, waih, mais une femme qui a déjà servi même une fois ou qui ait eu la pensée de se la mettre dedans, moi, j’m’en bas les couilles » (Un ange) ; « T’es une putain de cochonne dégueulasse » (Topo y Wera, 2018). Les paroles prononcées par les hommes trahissent le manque de considération à l’égard des femmes, perçues comme des objets sexuels tant dans le nord de la France qu’à Tijuana. Les corps féminins abîmés trahissent aussi les souffrances endurées tout au long d’une vie, comme les visages fatigués et la voix exaspérée de celles qui ont en charge l’éducation des enfants et la gestion du foyer (Perdonami mama ; Y’a plus d’os) ou les jambes flétries et les yeux égarés de celles qui arpentent le trottoir dans The Soiled Doves of Tijuana. Jean-Charles Hue capte la virilité à outrance, souvent blessante et méprisante à l’égard du sexe opposé.

Néanmoins, le cinéaste parvient aussi à saisir l’attachement à travers des détails, comme l’épouse posant sa tête sur le ventre de son mari dans La Mort vient sans prévenance  (2020) ou les regards complices des amoureux·ses drogué·es dans Topo y Wera. La caméra est aussi témoin des chagrins d’amour. Topo montre à l’objectif la pipe cassée et les lunettes de soleil qui appartenaient à la bien-aimée. « Je garde tout ça ici pour me souvenir d’elle », confie Topo au réalisateur, en montrant tous les objets conservés, pour préserver la mémoire de l’amour perdu. Sans aucun doute, la caméra de Jean-Charles Hue parvient à capturer ces instants fugaces, bouleversants, des émotions qui surgissent chez les êtres les plus endurcis.

Publié le 11/03/2024 - CC BY-SA 4.0

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