Émile Bravo est auteur de bandes dessinées et illustrateur. Si ses BD s’adressent a priori aux enfants, elles sont aussi appréciées des adultes, car elles proposent souvent plusieurs niveaux de lecture. Elles défendent des valeurs humanistes et comportent beaucoup de références, comme c’est le cas dans Spirou, l’espoir malgrè tout, sa dernière BD, dont l’histoire se déroule pendant l’Occupation, en Belgique.
L’auteur est célèbre pour son trait ligne claire proche de celui d’Hergé, auteur qu’il a beaucoup lu enfant. Émile Bravo se nourrit d’œuvres basées sur l’expérience. Il nous parle de quelques-unes des lectures qui l’inspirent dans son travail.
Il est présent lors de deux événements à la Bibliothèque publique d’information, dans le cadre de la programmation associée à l’exposition Riad Sattouf, l’écriture dessinée : une rencontre avec Riad Sattouf, le 10 décembre 2018 et un Samedi de la BD, le 15 décembre 2018.
Quels livres ont marqué votre enfance ?
Tintin au Tibet m’a profondément bouleversé. J’étais fasciné par certains passages qui me terrifiaient. Je passais les pages très vite, car j’étais trop effrayé ! Puis, j’y revenais. Avec le temps, j’ai compris le sens de ce livre. Je pense que je me suis construit avec lui, j’ai dompté ma peur à travers lui, en apprenant à accepter certaines images.
Je lisais aussi Astérix, Spirou, Johan et Pirlouit, les Lucky Lucke de Goscinny, mais aussi ceux de Morris qui avaient quelque chose de burlesque. J’ai vraiment été marqué par la bande dessinée, car j’aimais les images, je suis né dans l’image !
En littérature, j’aimais Les Trois Mousquetaires, les livres de Jules Verne, et d’une manière générale, tout ce qui avait un rapport aux sciences.
Qu’avez-vous lu avant de dessiner votre dernier Spirou ?
J’ai lu pas mal de livres écrits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui évoquaient la gloire de la Belgique résistante. J’ai lu aussi des romans comme Le Chagrin des Belges, d’Hugo Claus, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus intéressé, car le roman est déjà une construction, or construire, c’est précisément ce que je cherche à faire, c’est mon métier.
Je me suis surtout basé sur un livre intitulé La Belgique sous l’occupation allemande. Il s’agit d’un rapport écrit par Paul Struye, un juriste devenu ministre de la Justice à la Libération. Pendant l’Occupation, tous les six mois, il écrivait un rapport sur ce qui se passait en Belgique, qu’il envoyait ensuite à Londres. C’est un rapport objectif qui prend une photographie d’un moment précis. Il dresse un constat social, évoque les courants de pensée et politiques, relate l’opinion de citoyens, ou encore donne des éléments factuels, comme le prix du pain. Une partie du livre est par ailleurs écrite par Guillaume Jacquemyns, un historien belge contemporain de Struye, ce qui permet de compléter le regard de Struye, qui parlait de son point de vue de juriste et qui avait un certain regard sur la bourgeoisie, avec une dimension davantage populaire. L’édition récente est contextualisée par un historien. Ce livre est une véritable mine d’informations. Il m’a permis de me documenter en toute objectivité, ce que je tenais absolument à faire pour écrire les quatre tomes de ce Spirou.
Quels sont les films qui vous ont inspiré ?
L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville est probablement le film qui m’a le plus marqué depuis mon adolescence. Il émane une telle tension du film qu’on comprend que tout n’est noir ou blanc, c’est plus compliqué. C’est ce que je voulais raconter aux enfants.
J’ai aussi vu Lacombe Lucien, de Louis Malle, un film qui raconte l’histoire d’un pauvre type qui devient collabo malgré lui, parce qu’il parvient pas à rentrer dans la résistance. C’est un film sur le pouvoir, c’est très intéressant.
Depuis tout petit, à chaque fois que j’ai rencontré quelqu’un qui avait connu cette époque, j’ai toujours posé des questions sur ce qu’il avait vécu. Comprendre ce qui s’est passé pendant la guerre est une sorte d’obsession depuis mon enfance.
Quel est votre livre de chevet en ce moment ?
Je lis Mon dernier soupir de Luis Buñuel. J’aime particulièrement les romans ancrés dans le réel, qui racontent un vécu, qui comprennent une dimension historique, ou qui sont basés sur un témoignage. Ce qui m’intéresse, c’est la vraie vie des gens. Ce sont nous les héros des histoires, ce sont nous qui faisons l’Histoire. Mon intérêt pour l’Histoire me vient probablement de mon père. En tant que réfugié de la guerre d’Espagne, il s’est battu contre le franquisme, et il m’a inculqué ces zones d’ombre tout en faisant partie de l’Histoire, je trouve que sa vie est passionnante. Et puis, après avoir lu Si c’est un homme de Primo Levi, je me suis se dit : “Comment continuer à lire des romans après cela ? À quoi bon s’inventer des histoires ? Il y a tant de matière dans le vécu des hommes. Plongeons-nous plutôt dans l’âme humaine pour tenter de comprendre qui nous sommes. »
Quels sont les auteurs de BD que vous nous recommandez de lire ?
Je vous conseille de lire les BD d’Anouck Ricard, une auteur jeunesse. Son travail est fantastique et d’une grande profondeur.
Je pense aussi que nous avons un très grand artiste en France : Blutch. C’est un dessinateur incroyable, il finira au Louvre !
Par ailleurs, je crois que le travail de Marjane Satrapi a été essentiel. Il a permis de faire connaître la bande dessinée à des gens qui n’en lisaient pas. Marjane a montré que la BD, ce n’est pas seulement le dessin, c’est aussi le scénario. En utilisant les codes de l’enfance adaptés aux codes de la BD – eux-mêmes inspirés de la miniature orientale – elle a raconté une histoire très personnelle qui touche à l’universel. Beaucoup de gens ont lu Persépolis sans se rendre compte qu’ils lisaient de la BD.
Enfin, je vous conseille évidemment Riad Sattouf. J’aime la dimension universelle de ses livres. Il s’adresse à tout le monde. Son œuvre est exceptionnelle car ç’est très difficile pour un jeune auteur de raconter quelque chose de puissant. Il faut d’abord qu’il se construise, qu’il ait un vécu. Riad et Marjane y sont néanmoins parvenus parce qu’ils ont une histoire hors du commun.
Quel est votre personnage préféré dans l’œuvre de Riad Sattouf ?
Je connais Riad depuis ses débuts, alors qu’il n’était pas encore auteur, mais seulement dessinateur pour un scénariste. Il avait beaucoup de choses à dire, c’était important qu’il produise ses propres histoires. Depuis, j’aime tout ce qu’il fait ! J’aime autant Pascal Brutal que Pipit Farlouse, c’est une BD qui semble être infantile, mais qui en réalité nous dit quelque chose des rapports humains. Personnellement, tout mon travail est lié à mon enfance et je pense que c’est ce qui me touche chez Riad : il porte un regard d’enfant sur le monde.
Par ailleurs, je suis admiratif devant son hypermnésie, il se souvient de tout. Je pense que le talent est très lié à la mémoire, c’est important de se souvenir des choses qui nous ont marqués, non pas de les refouler, mais d’en faire quelque chose. Le personnage du père dans L’Arabe du futur me touche beaucoup. Riad le décrit comme il est, sans haine. C’est très touchant.
Le personnage de Jérémie est aussi très puissant. Riad sait parler de l’adolescence et du monde d’aujourd’hui.
Heureusement que des auteurs comme lui ou comme Marjane sont là pour créer des passerelles culturelles. Ce sont des gens qui font avancer les sociétés.
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