Pour une définition des biens communs et le choix de l’appellation la plus pertinente.
Trois éléments indissociables
Au cœur des biens communs, il y a trois éléments indissociables : une ressource, une communauté de personnes et des règles d’organisation. Le caractère commun ou non d’un bien se définit en fonction de son régime de partage, de son accès et de sa circulation. Un jardin, par exemple, peut être géré comme un service public, appartenir à une personne privée ou être géré en commun, c’est-à-dire selon des règles définies par un collectif de jardiniers amateurs. Ce schéma issu du rapport sur les Communs de la Fondation Heinrich Böll illustre les trois composants fondamentaux des communs.
Les biens communs ne constituent pas une catégorie figée mais peuvent avoir des configurations variables sans toujours être strictement publics ou strictement privés. Le jardin partagé peut ainsi être mis à disposition par l’État, géré par des citoyens qui peuvent y produire des légumes pour les vendre et financer l’entretien du jardin. Le mode d’organisation des jardiniers amateurs peut être associatif (association selon la loi de 1901), mais ce n’est qu’une des formes juridiques de la gouvernance des biens communs, c’est-à-dire des règles déterminées collectivement. Les communs sont très divers, pour en avoir un aperçu, n’hésitez pas à consulter notre sélection d’expériences de projets en Communs.
À la source des biens communs, il y a donc des expériences à rebours de l’individualisme des sociétés contemporaines et de l’idée d’une frontière étanche entre marchand et non-marchand. Peut-être est-ce pour cette raison, qu’ils sont la plupart du temps invisibles, comme le souligne Pablo Servigne, en listant les obstacles qui empêchent une bonne compréhension des communs.
« Communs » versus « enclosure » ?
Lorsqu’une ressource bascule d’un statut de commun à un statut de bien strictement privé, on parle d’enclosure. Le terme n’est pas un anglicisme mais exprime l’action d’enclore, c’est-à-dire de priver une communauté de l’usage d’une ressource. Un morceau de musique numérisé peut être un bien à partager. En lui appliquant des dispositifs techniques de protection pour la gestion des droits de type DRM (digital rights management ) visant à en limiter l’usage, on cherche à enclore le morceau et à éviter sa libre circulation, diminuant par là même la possibilité de son usage « en commun ». Pour autant, les biens communs ne sont pas tous en accès libre, l’usage de certains biens communs peuvent être réservés à leur communauté. Par exemple, un four de village peut n’être déclaré utilisable que par ses habitants !
Exclusif versus ouvert
Il est essentiel pour bien comprendre les Communs de percevoir qu’ils déplacent la frontière traditionnelle entre marchand et non-marchand vers une frontière entre exclusif et non-exclusif (ouvert). Une communauté peut ainsi avoir des activités marchandes qui lui permettront entre autres de dégager les revenus qui lui permettront de financer le maintien ou le développement du commun. Par exemple un éditeur de logiciel libre (logiciel pour lequel on a choisi un régime de bien commun) fournit souvent un accès gratuit à son logiciel (contrairement au logiciel propriétaire qui vend des licences) ; en revanche il peut vendre le support matériel du logiciel, le service de formation ou de personnalisation du logiciel, etc. De même, les communautés paysannes qui choisissent de croiser leurs semences entre eux pour améliorer les espèces, contribuent au commun de la connaissance semencière paysanne, ce qui ne les empêche pas par ailleurs, de vendre les produits de leurs récoltes. Ce point fait l’objet de nombreuses controverses. Certains pensent qu’une même ressource peut faire l’objet de certains droits d’usage libre, dans une logique de contribution aux communs, tout en autorisant la commercialisation de la même ressource.
Tout n’est pas « commun »
Toute ressource n’a pas vocation à être gérée comme un commun. Une communauté peut considérer en fonction des circonstances qu’à un moment donné une ressource sera gérée plus efficacement par le secteur public ou privé. Par exemple, la gestion de l’eau, qui avait été largement transférée au secteur privé au cours des dernières décennies par de nombreuses municipalités, fait l’objet de mouvements en faveur d’une « remunicipalisation » dans différentes villes ou pays (Italie, Paris…). En revanche, peu de voix s’élèvent pour en faire un commun, géré par les habitants eux-mêmes. Ceci peut s’expliquer par différents facteurs comme la complexité des infrastructures d’acheminement et de distribution.
Enfin, les biens communs ne sont pas le bien commun ! Proche de la notion d’intérêt général, le bien commun est un objectif de bien-être global qui oriente l’action des services publics mais qui n’implique pas forcément de règles pour une ressource. Ainsi, la Justice doit être organisée par des règles collectives sans pour autant relever de l’entretien d’une ressource matérielle ou immatérielle.
Biens communs ou Communs ?
Doit-on dire « biens communs » ou « communs » ? Certains emploient le terme de « communs » seul. Ils y voient un avantage par rapport au terme de « bien commun », car en se séparant du « bien », au cœur des modèles marchands, on dissocie la ressource d’une possible destinée commerciale. En français, on parle de plus en plus de « Communs » tout court (souvent avec un majuscule) et les anglo-saxons parlent de commons, de commoners pour désigner ceux sui sont impliqués dans les communs. Ils emploient aussi commoning pour désigner la tendance.
Au sein du triptyque communauté-règle-ressource, la notion de biens communs donne pour certains trop d’importance à la ressource. Passer de « biens communs » à « communs », c’est prendre du recul sur la pensée d’Elinor Ostrom qui, en obtenant le prix Nobel a donné un visibilité mondiale à la notion. Ses travaux portaient en effet sur les « Les Common Pool Resources », correspondant seulement à certains types de biens ayant des caractéristiques données.
Or, n’importe quelle ressource peut être mise en commun si une communauté le décide. Il n’y a pas de ressource qui aurait intrinsèquement des caractères la prédisposant à être gérée en commun. L’ouvrage qui va le plus loin dans cette logique est celui de Pierre Dardot et Christian Laval, qui appellent explicitement à ne plus employer le terme de « biens communs » pour passer aux « Communs ». Pour eux, l’important est la dynamique politique autour de la ressource et aucune ressource ne serait commune par nature. Le livre de Jeremy Rifkin La nouvelle société du coût marginal zéro. L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme aborde les Communs avec cette traduction : « communaux collaboratifs » replaçant ainsi les communs dans leur filiation historique.
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