Article

Appartient au dossier : Nikolaus Geyrhalter, l’humain dans le viseur

4 films de Nikolaus Geyrhalter sur les ravages de l’anthropocène

Le cinéaste autrichien Nikolaus Geyrhalter s’intéresse à la façon dont les humains habitent la planète. Certains de ses films témoignent de la croissance de l’activité humaine et des pressions qu’elle exerce sur l’environnement, laissant entrevoir les menaces qui pèsent sur l’avenir de l’humanité et sur celui de notre planète. Balises vous présente quatre films qui illustrent l’importance des déchets dans sa filmographie, à l’occasion de la rétrospective « Nikolaus Geyrhalter, Homo sapiens », présentée à la Bpi par la Cinémathèque du documentaire.

Un panneau signalant une zone radioactive
Nikolaus Geyrhalter, Pripyat (1999) © Nikolaus Geyrhalter Filmproduktion GmbH

Pripyat (1999) : les dangers du nucléaire

Douze ans après la catastrophe de Tchernobyl, Nikolaus Geyrhalter se rend à Pripyat avec son équipe et filme pendant deux mois des personnes vivant et travaillant dans la zone d’exclusion. Les premiers plans montrent des bâtiments de l’ère soviétique en ruines et désormais livrés à la nature. Le réalisateur autrichien insiste sur l’architecture froide et austère qui se dégrade progressivement sous l’effet du temps. Pripyat est présentée ironiquement comme une ville propre et vivable par des panneaux à l’imagerie soviétique installés par les autorités. Le choix d’une image en noir et blanc renforce l’impression d’abandon et de solitude des lieux.  

L’abandon comme solution

Dans les logements, de nombreux objets du quotidien contaminés ont été abandonnés et se sont dégradés avec le temps, devenant des déchets. Lors d’entretiens menés auprès des habitant·es, Nikolaus Geyrhalter montre la difficulté pour elles et eux de se débarrasser des poussières radioactives. « Elles se déposent sur tous les vêtements », comme le précise cette employée qui doit jeter ses habits de travail une fois arrivée à son domicile. Le réalisateur filme également des véhicules militaires hautement radioactifs. Stockés dans un dépôt, ils finissent comme épaves, dans l’attente de la construction d’un site pour les décontaminer. 

La nature, devenue déchet

Nikolaus Geyrhalter s’attarde plus spécifiquement sur la contamination de la nature à long terme. Deux retraités expliquent que les champs, les arbres et les plantes sont souillés pour des décennies. Beaucoup de champignons ne sont plus consommables car ils ont absorbé trop de radiations. Des scientifiques, qui analysent quotidiennement l’air et l’eau, constatent des niveaux élevés de plutonium et de strontium. Les poissons contiennent potentiellement des éléments radioactifs dans leur organisme. La terre représente également une source d’inquiétudes, pour cet éleveur, par exemple, qui fait paître ses vaches en se demandant si elles ne tomberont pas malades. Nikolaus Geyrhalter nous montre que la nature a repris ses droits sur l’humain mais est devenue toxique.

une salle de spectacle à l'abandon
Nikolaus Geyrhalter, Homo Sapiens (2016) © NGF

Homo Sapiens (2016) : quelle place pour les humains ?

Le film nous fait pénétrer dans toutes sortes de lieux abandonnés dont on devine néanmoins la fonction initiale par la structure du bâtiment ou les éléments qui sont restés sur place : hangars, magasins, écoles, parking, église, vestiaires de piscine, décharge…  

L’inanité de l’activité humaine

L’humain est complètement absent des plans. Aucun son ne l’évoque non plus, le film est sans paroles ni musique. Sa présence se manifeste uniquement à travers les lieux dégradés et les objets devenus dérisoires dans ce contexte et même dérangeants, de par leur statut de déchets suite à leur abandon. Il est impossible de situer les lieux filmés, il pourrait s’agir de n’importe quel endroit du monde. Quelques pistes nous sont fournies par un logo d’entreprise, des caractères japonais… Mais sont-ils tous rassemblés dans une même région, une même ville ou dispersés aux quatre coins de la planète ? Pourquoi ces lieux ont-ils été désertés ? Pourquoi tout a été abandonné sans égards ? Ces marchandises laissées sur place n’ont-elles donc plus de valeur ? Ce défilement d’images sur les traces humaines invite les spectateur·rices à s’interroger sur la nécessité d’une production et d’une consommation croissante.

Une nature qui reprend le dessus

L’examen attentif des scènes montre que ces lieux ne sont pas totalement morts. Recouverts d’un voile de poussière, sombres et désertés, ils sont pourtant traversés par la lumière naturelle, animés par le vent qui agite un tissu, un plastique ou fait tinter des lustres. Des herbes poussent dans les interstices du béton d’un parking, des buissons camouflent une haie de distributeurs. Ces drôles de tableaux sont sonores : cris d’oiseaux, bruissements d’ailes, ressac, frottements, vents… La nature est modifiée mais toujours vivante. Elle existe sans l’humain, mais le contraire est-il vrai ?

Nikolaus Geyrhalter, Erde (Earth) (2019) © NGF

Terre (Erde, 2019) : déplacer les montagnes pour en arracher la matière

Nikolaus Geyrhalter filme des chantiers et des mines du monde : San Fernando Valley en Californie, Brenner en Autriche, Gyöngyös en Hongrie, Carrara en Italie, Rio Tinto en Espagne, Wolfenbüttel en Allemagne et Fort McKay au Canada. Sur ces grandes surfaces où tout élément végétal a été éradiqué, travaillent des humains. Ils sont aux commandes d’énormes machines conçues pour exploiter plus et plus vite les ressources de la Terre. Dès les premières images, un texte signale que l’action humaine équivaut à une force géologique : il déplace chaque jour 156 millions de tonnes de terre et de rochers quand les forces naturelles en déplacent 60 millions par jour.

Un mal nécessaire

Le cinéaste filme les chantiers et les ouvrier·ères, les ingénieur·es ou les exploitant·es au travail. Les plus impliqué·es dans l’activité reconnaissent les conséquences sur l’environnement, les limites naturelles, mais justifient la prédation par la nécessité de loger et de produire pour des humains toujours plus nombreux, de faire circuler plus de marchandises, d’éliminer leurs déchets toxiques… C’est une sorte de fatalité. Iels se sentent impuissant·es. Iels s’accordent sur le fait qu’exploiter les ressources de la terre s’apparente à un combat, dangereux et difficile, qui nécessite toujours plus de moyens techniques. Mais c’est un travail et iels ne sont plus face à la nature mais à un projet. 

La nature de plus en plus hostile

D’autres personnes ayant un peu plus de recul sur l’activité sont également interrogées : une conservatrice de musée local, un archéologue, des spécialistes du nucléaire, des voisin·es d’un site d’extraction… Comme le rappelle l’archéologue, « extraire quelque chose du sol nécessite toujours une procédure violente et agressive » car la Terre n’offre naturellement qu’une toute petite partie de ses ressources. Il faut replacer l’activité humaine dans le temps long et se rappeler que l’exploitation minière a fait progresser les civilisations mais celles-ci ont toutes fini par s’effondrer. L’humanité n’apprend rien de l’histoire, constate-t-il. Qu’adviendra-t-il de l’humanité avec tous les risques que nous prenons avec notre environnement, les paris que nous faisons pour l’avenir ? Sur le premier site d’extraction de sables bitumeux au Canada, les fûts éventrés jonchent le sol, les machines ont été abandonnées sur place. La zone est polluée, mais la végétation a repoussé, masquant les déchets et les problèmes.

un camion benne à ordure suspendu à un téléphérique
Nikolaus Geyrhalter, Exogène (Matter Out of Place) (2022) © NGF

Exogène (Matter out of Place, 2022) : ne laisser aucune trace

Pendant cinq ans, Nikolaus Geyrhalter se rend sur plusieurs continents pour filmer les différentes manières dont sont jetés et traités les déchets. Le titre original du film, Matter out of Place (Moop), désigne les objets qui ne sont pas dans leur endroit d’origine. L’expression fait référence à une pratique en cours au festival « Burning Man », organisé chaque année dans le désert du Nevada aux États-Unis. Après l’événement, des bénévoles sont chargé·es de nettoyer intégralement les espaces et de veiller à ne « laisser aucune trace ».

La quasi absence de dialogues et de commentaires durant tout le documentaire laisse beaucoup d’espace aux bruits assourdissants des machines. Nikolaus Geyrhalter donne ainsi à voir l’aspect déshumanisé de cette gestion des déchets. Seuls les bénévoles ont la parole. Filmé·es sur les plages d’Albanie ou en plongée dans la Méditerranée, iels sont les derniers maillons de la chaîne. Iels ramassent en silence les déchets.

Un problème pour les générations futures

Le premier plan, à Soleure en Suisse, montre un excavateur qui extrait de la terre sur un terrain vague. Nikolaus Geyrhalter capte ici la dernière décontamination d’un site qui enfouissait des déchets depuis les années soixante-dix. Cette séquence fait écho à son précédent film, Terre (2016), dans lequel il se questionne sur l’exploitation massive des ressources terrestres et sur le dépôt de déchets nucléaires en profondeur. Nikolaus Geyrhalter montre l’impossibilité pour un déchet de disparaître totalement. La question du traitement futur par les prochaines générations est posée dès le début du documentaire.

Le déchet filmé, du Népal au Nevada

Pour filmer la gestion des déchets, Nikolaus Geyrhalter alterne des plans-séquences longs et des plans fixes. À Katmandou au Népal, il filme un homme en vélo rickshaw qui fait la tournée des maisons pour récupérer les ordures ménagères et les encombrants qui seront ensuite acheminés par camions vers une déchetterie à ciel ouvert. Les déchets sont ici déversés par milliers, à même le sol, et récupérés à la main par des femmes. Le réalisateur pointe ici la dangerosité du cadre de travail des personnes récoltant et triant les déchets.

Dans les Alpes suisses, c’est un camion-benne qui est transporté par télécabine jusqu’à un sommet où il prélève les poubelles d’une station de ski. Le transit compliqué des déchets d’un endroit reculé vers un lieu de déversage se retrouve dans de nombreuses séquences. C’est le cas aux Maldives où des bateaux font la navette entre les villages flottants et une décharge portuaire.

À l’autre bout de la chaîne de traitement des déchets, la caméra de Nikolaus Geyrhalter s’attarde sur un tapis convoyeur et la broyeuse d’une usine d’incinération en Autriche. Les plans sont cadrés au plus près pour montrer leur volume et leur grande diversité. Toute la logistique du transport, du tri et du stockage donne aux images un rythme répétitif, au point d’en devenir mécanique et presque hypnotique.

Publié le 30/01/2023 - CC BY-SA 4.0

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet