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Appartient au dossier : Voyage dans le cyberespace

Deep web, dark web, darknets : le côté obscur de la toile ?

Savez-vous que vous naviguez certainement sur le deep web tous les jours ? Ou encore que le dark web n’existe pas ? Pour y voir plus clair, Balises vous fait visiter les différentes strates qui composent Internet.

Une spirale illuminée autour d'un bloc de pixels.
Shubham Dhage sur Unsplash

Web de surface, web profond, darknets

Internet se décompose en plusieurs strates. Le web de surface, qui représente entre 4 et 10 % du réseau, désigne tout ce qui, sur Internet, est indexé, c’est-à-dire accessible par le biais des moteurs de recherche. Le web profond, aussi appelé web invisible ou deep web, représente les 90 à 96 % restants : ce qui est présent sur Internet, mais impossible à trouver en passant par un moteur de recherche. Il peut s’agit de votre page personnelle sur un site de banque, de votre messagerie, de fichiers médicaux, d’articles universitaires… En bref, nous naviguons indifféremment, au quotidien, aussi bien sur le web surfacique que sur le web profond.

Quant au dark web, c’est un néologisme, un raccourci qui désigne une partie du deep web uniquement accessible par le biais de darknets. Un darknet est un réseau superposé au web de surface, c’est-à-dire une sorte de tunnel qui permet en toute légalité de naviguer en ligne de manière anonyme sur des sites classiques, mais aussi d’accéder aux sites cachés dans ce darknet. Le plus connu des darknets est Tor, mais il en existe d’autres, comme Freenet.

Petite histoire du cryptage des informations en ligne

Alors que le réseau Internet prend de l’ampleur dans les années quatre-vingt, des cypherpunks développent un système de chiffrement et entreprennent le cryptage des informations, au nom de la défense de la vie privée. Le Manifeste crypto-anarchiste publié par Timothy C. May en 1988 prédit même l’arrivée de l’anonymat sur Internet. À l’époque, l’État américain voit ce processus de cryptage des informations comme une menace pour la sécurité nationale. Les logiciels créés par les cypherpunks sont interdits à l’export, et certains membres de cette communauté informelle se voient même intenter un procès.

Un revirement a lieu dans les années quatre-vingt-dix, lorsque l’armée américaine crée Tor, dans le but de protéger ses communications. En effet, l’adresse IP d’un internaute permet de suivre et d’analyser la navigation de celui-ci sur le Net et d’en déduire ses centres d’intérêt et son comportement. Tor, ou d’autres darknets, masquent cette adresse. L’armée américaine continue à ce jour de financer en partie le fonctionnement de Tor, et de nombreux autres organismes tels que Google ou Mozilla ont participé à son financement, au nom de la liberté du Net.

Pourquoi rester anonyme ?

En 2013, Edward Snowden, ancien employé de la CIA et de la NSA, deux agences de renseignements américaines, dévoile que la NSA espionne les communications numériques de millions d’internautes américains et britanniques en scannant notamment leurs échanges sur les réseaux sociaux et les sites de vidéo en ligne. Après cette révélation, Tor passe de trois millions à six millions d’utilisateurs quotidiens.

Entre 2014 et 2016, la société Cambridge Analytica a quant à elle obtenu les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook, avec l’aval de la société de Mark Zuckerberg. En 2016, grâce à ces données, le comité de campagne de Donald Trump semble avoir modifié les intentions de vote d’un nombre d’électrices et d’électeurs suffisamment important pour qu’il accède à la présidence des États-Unis. Selon Christopher Wylie, qui a lancé l’alerte, la même méthode aurait permis au camp du Brexit d’obtenir la victoire au Royaume-Uni, en poussant des électeurs ciblés à se prononcer en faveur d’une sortie de l’Union européenne.

Ces lanceurs d’alerte et d’autres, comme Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, dénoncent une société de la surveillance généralisée reposant, selon eux, sur trois piliers. Le premier est l’hypercentralisation des données, notamment par les GAFAM, qui disposent d’une gigantesque quantité d’informations personnelles sur les 4,2 milliards d’internautes recensés en 2022. Le deuxième pilier de la surveillance, ce sont les systèmes fermés sans accès aux codes sources, autrement dit les logiciels commerciaux clé en main, qui permettent aux créateurs de dissimuler des systèmes de surveillance dans le code, notamment à des fins commerciales. Le troisième est la fausse sécurité que procure le chiffrement en transit, qui peut dans certains cas être facilement contourné. Pour contrer la traçabilité de nos données et l’usage commercial, politique voire criminel qui peut en être fait, les hacktivistes défendent l’usage de réseaux décentralisés comme Tor ou Freenet, de logiciels libres dont le code est ouvert à toutes et tous, et du chiffrement point à point, plus sûr.

Des silhouettes dans un espaces sombres, éclairé par des points lumineux.
Robynne Hu sur Unsplash

Que trouve-t-on sur les darknets ?

Les darknets permettent à des journalistes, des avocats ou encore des militants politiques de communiquer de manière anonyme et donc sécurisée. Reporters sans frontières fournit d’ailleurs un guide de sécurité numérique, comprenant des conseils pour ne pas être tracés et conseillant à tous les journalistes de naviguer via Tor. De grands journaux comme le New York Times publient depuis 2017 leurs articles sur Tor pour que l’information soit accessible à celles et ceux pour qui il peut être dangereux de les consulter sur le web de surface. Même Facebook est désormais accessible sur Tor, afin de pouvoir être consulté dans les pays où ce réseau social est interdit.

Bien sûr, l’opacité des darknets facilite également la mise en place de trafics illégaux – drogue, armes, faux papiers, piratage, tueurs à gage, pornographie, payés en cryptomonnaies pour rester intraçables. Les darknets sont également un lieu de partage illégal de musique et de films, sur lesquels on retrouve notamment les plateformes d’échanges de fichiers The Pirate Bay et KickAssTorrents.

Les darknets ne sont pas pour autant des zones de non-droit. Par exemple, la plateforme Silk Road, qui permettait de commercialiser principalement des stupéfiants sur Tor, puis sur I2P à partir de 2011, a été fermée trois fois, après des enquêtes internationales. Son créateur, Ross Ulbricht, a été condamné à la prison à perpétuité, et plusieurs autres personnes ont été arrêtées. L’anonymat proposé par les darknets peut également susciter la méfiance : Wikipedia interdit ainsi aux utilisateurs passant par Tor (ou par un simple VPN) de modifier ses contenus, afin d’éviter les abus et les attaques. S’il n’existe pas à proprement parler un dark web qui serait le côté obscur de la toile, Internet reste donc un espace en perpétuelle refondation, laboratoire politique de la manière dont les individus conçoivent la société.

Publié le 08/08/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

« Le Grand Méchant Darknet » | Affaires sensibles, sur France Inter, 28 novembre 2017

« Zone de non droit », « cour des miracles numérique », « supermarché du crime », « continent secret »… : ces métaphores dont la presse raffole désignent avec terreur et délectation une réalité aussi fascinante que fantasmée, le darknet. Dans cette émission, Fabrice Drouelle définit clairement les différences entre deep web, darknet et dark web, et retrace l’histoire de ces espaces particuliers du réseau Internet.

« Un manuel de survie numérique pour s'informer et éviter la censure en Russie », par Olga Bronnikova et Françoise Daucé | The Conversation, 2 mai 2022

Certains médias interdits en Russie cherchent à échapper à la censure et expliquent à leurs lecteurs comment continuer de les lire. Des recommandations qui peuvent aussi se révéler utiles ailleurs…

« Deep web : 8 meilleurs moteurs de recherche pour explorer la face cachée du web », par David Igue | Paper Geek, 23 juin 2021

Vous recherchez des portes d’entrée dans le vaste univers souterrain du deep web ? Découvrez une liste de moteurs de recherche pour l’explorer.

« Le darknet », parcours d'éducation aux médias et à l'information, par Alexandra Maurer et Denis Weiss | Centre pour l'éducation aux médias et à l'information (CLÉMI), 2022

Le darknet a mauvaise réputation. Lieu de tous les vices et de tous les trafics pour certains, il est aussi le dernier endroit où l’on peut échapper à l’œil de Big Brother ou des États espions. Non seulement il est un médium privilégié pour la défense des droits de l’homme, qui protège notamment dissidents et journalistes, mais il favorise la création, la culture, la sociabilité et le partage. Si l’on y trouve aussi de la drogue et des armes, c’est qu’il n’est que le reflet de ce que l’on trouve dans la vraie vie.

Un parcours d’éducation aux médias et à l’information proposé par Alexandra Maurer, coordinatrice du CLÉMI à La Réunion, et Denis Weiss, professeur documentaliste.

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