Le DOC, squat artistique en plein Paris, a ouvert ses portes en mars 2015. Situé au 26, rue du Docteur-Potain, proche de la place des Fêtes, sa façade en briques rouges rappelle qu’il s’agissait autrefois d’un lycée technique. Quand on s’approche, la porte est close, pas de sonnette, seule l’inscription “DOC” (pour Docteur Potain) nous indique que nous sommes à la bonne adresse. C’est au mois de juillet, lors du tournage du dernier film de Philippe Garrel, que nous avons découvert ce lieu rare.
Nous sommes accueillies par deux jeunes garçons souriants et sympathiques : César Chevalier et Théo Carrère. César a fait les Beaux-Arts, tandis que Théo est intermittent du spectacle. Tous deux se sont beaucoup investis dans le projet et la vie du DOC. Ils seront nos guides pour cette visite.
Construire le commun
La rénovation du bâtiment
Quand on entre, la première chose qui impressionne, c’est la taille du bâtiment, qui s’étend sur plus de 3 000 m2. L’espace est à la mesure de l’énergie qui a été déployée pour transformer cet ancien lycée technique en espace de création artistique. César revient sur cette intense période de travaux :
“Lorsque nous sommes arrivés, nous avons passé près de six mois à la rénovation du bâtiment : il a fallu tout vider, nettoyer, repeindre, changer les fenêtres, les carreaux… Le plus important, ça a été de mettre l’eau et l’électricité, mais aussi de penser à la sécurité, en installant des extincteurs et des blocs secours. On a beaucoup bossé, on a eu la chance de tomber sur de très bons artisans qui soutenaient notre démarche et notre projet. C’était quasiment du bénévolat. Tous les corps de métiers sont intervenus, des gens de notre réseau comme du quartier. Beaucoup travaillent ici ou pas très loin. C’est un quartier résidentiel, mais en fait, on y trouve toutes les compétences ! L’électricien nous a appris les rudiments. Il a construit la colonne électrique centrale et nous a montré comment ça fonctionnait. Ensuite, chaque personne a pu apprendre à une autre personne, et ainsi de suite. On a essayé de trouver des outils et des méthodes qui puissent être transmis facilement. L’idée, c’était que les gens puissent continuer tout seuls, qu’ils soient rapidement autonomes. C’est comme ça qu’on a pu ré-électrifier tout le bâtiment, faire le branchement de tous les ateliers. On a fait la même chose avec la plomberie. Aujourd’hui, le bâtiment, toutes rénovations comprises, a coûté environ 400 000 euros. On n’aurait jamais pu le faire si on avait dû payer tout le monde.
“Squatter, c’est prendre un espace vide et en faire quelque chose”
Depuis qu’ils occupent cet ancien lycée technique, les résidents du DOC « squattent ». Menacés par un avis d’expulsion, ils se battent pour que le projet continue à exister. Mais, squatter ce lieu singulier, ça veut dire quoi exactement ?
“C’est occuper un bâtiment sans autorisation. Nous ne sommes pas autorisés à être là, car le bâtiment appartient au Conseil Régional. Pour rester dans les locaux, nous avons beaucoup travaillé, fait visité le lieu, vu la presse. On imagine souvent le squat comme un lieu taggé, dégradé. C’est vrai qu’il y a un peu de ça, mais c’est aussi autre chose. C’est une idéologie, une façon de vivre. En fait, c’est en squattant que l’on a découvert ce que c’est vraiment de squatter. Après, on peut être déçu par cette expérience, ça dépend du contexte. Pour nous, ça veut surtout dire prendre un espace vide et en faire quelque chose. Ce qui nous plaît le plus, c’est de réutiliser un bâtiment qui a déjà une histoire, de le détourner. Depuis le début, l’idée, c’est d’avoir un projet éphémère, de créer un lieu qui existera à travers ce qui va s’y produire et qui durera un temps. Un bâtiment, ce n’est pas seulement une architecture, ce sont des gens que l’on rencontre, des possibilités. Depuis qu’on est là, on a pu inviter des gens que l’on n’aurait jamais pu inviter, discuter avec eux, rencontrer d’autres collectifs. Au fond, le bâtiment, c’est tout ce qui restera de notre commun.”
“On est un collectif plus qu’une communauté”
Au fil des mois, le bâtiment n’a cessé d’accueillir de nouveaux artistes, multipliant par cinq le nombre de résidents. Il a fallu organiser une vie collective, afin de rassembler les disparités autour d’une vision commune :
“Le groupe de départ comprenait une douzaine de personnes, qui venaient de deux milieux différents : des gens du milieu alternatif, qui avaient déjà vécu en squat, et un groupe d’artistes, plutôt issu du milieu de l’art. C’était des amis de Renaud Devillers, et tout le monde se connaissait plus ou moins. Petit à petit d’autres personnes sont venues s’installer, et le groupe est passé à 70 personnes. C’est ce qui nous a poussé à créer une association avec un conseil d’administration et un bureau. Le bureau compte quatre personnes (un président, un vice-président, un trésorier et un secrétaire), qui se chargent de gérer les espaces et la vie quotidienne. Nous avons également un règlement intérieur, même si les gens respectent le lieu et les espaces collectifs. Une règle a notamment été établie dès le début : garder les espaces collectifs (salles d’exposition, locaux communs) plutôt neutres, mais permettre à chacun de décorer son atelier comme il en a envie. Aujourd’hui, Il y a plusieurs groupes, il y a toujours la dualité du début. C’est pour cela que nous avons des AG qui durent très longtemps ! Toutes les décisions, les budgets sont votés à la majorité. Au final, même s’il y a des hauts et des bas, le collectif fonctionne. On est un collectif plus qu’une communauté. Ce que nous voulons, c’est que les gens puissent vivre et travailler tranquillement.”
Habiter ensemble les espaces
On circule dans le DOC comme dans une grande maison, en passant de pièce en pièce, en montant et en descendant les escaliers, en longeant les couloirs. On entend les pas et les voix qui résonnent. On ouvre et on ferme des portes. C’est un chaleureux bric-à-brac, pourtant soigneusement organisé. L’espace se structure autour des savoirs-faire et de la production artistique.
La salle d’exposition
Au rez-de-chaussée, nous commençons par la vaste salle d’exposition, qui donne régulièrement à voir le travail des résidents. César revient sur l’importance de cet espace dans la vie du lieu :
“Cette salle est un ancien gymnase. Les murs étaient de couleur, on les a repeints en blanc, on a monté une paroi. La première exposition a eu lieu en septembre 2015. A chaque fois, on essaie de rénover, de transformer l’espace pour en modifier la perception. On fonctionne avec un cycle de quatre expositions collectives et une exposition personnelle avec un artiste invité par an. On essaie d’avoir une diversité d’artistes. Parfois, les résidents ne sont pas d’accord avec l’argent que l’on met sur une exposition, c’est vrai que cela coûte cher, mais c’est important pour le lieu, ça le rend vivant au sein du quartier. Les visites d’exposition se font uniquement sur rendez-vous : les gens appellent ou nous envoient un mail. Si on mettait une sonnette, on ne s’en sortirait plus, il y aurait toujours du monde. On essaie de ne pas être sur-médiatisés, de préserver la tranquillité du lieu. C’est bien d’être un peu en retrait.”
Le jardin
Un peu plus loin, en sortant, nous découvrons une cour intérieure calme et ensoleillée, située à l’arrière du bâtiment, en retrait de la rue. De larges pans de verdure abritent un jardin en train de prendre forme, comme nous l’explique Théo :
“C’est Renaud qui s’occupe du jardin parce qu’il s’y connaît, son père était agriculteur. Parallèlement, l’association Halage, qui organise des chantiers d’insertion, nous a bien aidés à déblayer ; en contrepartie, on leur donne accès à l’atelier bois pour d’autres chantiers. Maintenant, il n’y a plus qu’à planter ! On a des fleurs, des poivrons, des piments, des tomates, de la bourrache, des aubergines, des courgettes… Quand on aura nos propres récoltes, l’idée, ce serait de faire des repas de quartier avec les produits du DOC.”
L’atelier bois
Nous accédons à l’atelier de menuiserie par le jardin. Des machines pour la découpe et le travail du bois y sont installées. Sur la porte, un écriteau précise que l’accès est limité aux seules personnes autorisées. César nous invite à le suivre :
“Quatre personnes s’occupent du lieu, l’entretiennent. Elles forment les gens qui en ont besoin, les aident à réaliser des choses un peu techniques. Il y a des menuisiers, un sculpteur de l’école Boulle, des gens des Beaux-Arts, d’autres totalement autodidactes. Lorsque nous sommes arrivés, les machines étaient inutilisables, mais on a réussi à les refaire marcher. Ça a pris un peu de temps, mais ça a été efficace !”
Dans la salle d’à côté, les ateliers sont accessibles à tous les résidents, et une journée par semaine est réservée aux projets extérieurs. Théo nous explique que les résidences d’artistes (ateliers) sont installées dans les étages, tandis que les habitations sont regroupées au rez-de-chaussée. Si au début, chacun pouvait s’installer où il le souhaitait, le nombre croissant de résidents – près de quatre-vingt aujourd’hui – a nécessité une organisation et une distribution des espaces.
Les ateliers d’artistes
Nous gravissons les escaliers pour arriver aux ateliers d’artistes. Le DOC en comporte vingt-quatre, qui se partagent à plusieurs, en fonction des différentes activités (édition, sérigraphie, audio, vidéo, théâtre, photographie, etc.) Ces anciennes salles de classes offrent un cadre de travail spacieux et lumineux.
Nous arrivons dans l’atelier que Théo partage avec Rémi, qui est actuellement en plein montage :
“C’est un atelier de post-production. Je viens de recevoir une cabine de speak que je vais monter ; elle est très bien isolée, elle fait à peu près 2,5 mètres de hauteur. Du coup, je vais faire une deuxième salle, où les gens pourront parler, et garder un espace ici pour les bureaux. Depuis janvier, on a également lancé un projet de de résidence de post-production. Il y a déjà eu pas mal de courts-métrages, et un long métrage documentaire.”
Nous poursuivons jusqu’à l’atelier de César, qui avoue concilier difficilement son activité artistique et son investissement au sein du DOC :
“Je suis vraiment bien installé ici, mais pour l’instant, je n’arrive pas à travailler comme je le voudrais. Depuis que je suis dans le bureau, je suis très pris par l’association. Le fonctionnement quotidien me prend énormément de temps. On est encore en construction. A côté, c’est l’atelier de Philippe Decrauzat, un peintre suisse qui fait de la peinture abstraite un peu géométrique. Il fait parti de nos parrains, que l’on a choisis parce qu’on savait qu’ils allaient défendre le lieu en termes de notoriété, ou parce qu’ils étaient enseignants. C’est important d’avoir des personnes qui soient dans l’échange, dans la compréhension, dans la pédagogie – des générations différentes, des pratiques différentes, ça adoucit les relations.”
En sortant, nous passons par une petite salle de cinéma, équipée d’un appareil de projection au moment du tournage du film de Philippe Garrel. Théo nous explique :
“C’est plus une salle polyvalente : elle sert de salle de répétitions de théâtre en semaine, mais on l’utilise aussi pour des concerts, des projections, des conférences. On est souvent sollicité pour des tournages, la plupart amateurs ou semi-professionnels. Le film de Philippe Garrel, c’est le premier vrai tournage professionnel.”
Notre visite se termine dans l’atelier de l’artiste Bertrand Dezoteux. La pièce est remplie de maquettes et de petites marionnettes. Bertrand expose son projet :
“Nous travaillons à partir de la simulation d’un voyage sur Mars, intitulée Mars 500, réalisée il y a cinq ans par une équipe russe. Pendant un an et demi, six personnes ont été enfermées dans une sorte fusée en lambris. Tout le programme d’un voyage spatial y a été reproduit, à l’exception de l’apesanteur. Ils ont reconstitué Mars dans un hangar, fait des expériences de forage, ramassé du sable… Je suis allé à Moscou en juin pour rencontrer et interviewer les scientifiques qui ont participé à l’expérience. Ils avaient été sélectionnés pour leur capacité à occuper le temps et à lutter contre l’ennui. Ils se retrouvaient autour d’activités de loisirs et d’ateliers créatifs. Par exemple, pour Noël, ils avaient confectionné un sapin en carton, une petite crèche.”
“On travaille à la reconstitution de cette expérimentation russe, qui donnera lieu à une exposition et à un film de marionnettes, en partenariat avec le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales). C’est pour ce projet que le DOC nous a accueillis en résidence. Nous sommes en pleine fabrication des maquettes en carton et en papier, ainsi que des personnages. Le tournage aura lieu à l’automne 2016. En janvier, on remontera les décors et on essaiera de raconter l’histoire dans une exposition. Ca sera dans un nouveau lieu qui va ouvrir dans le Marais, à l’occasion des 10 ans du prix Audi talent awards, qui finance le projet”.
Quand on quitte le DOC, on peine à croire qu’il est voué à disparaître. Ainsi, depuis cet été, un travail sur l’histoire du DOC est en cours de réalisation. Il s’agit de répertorier tous les évènements qui s’y sont déroulés depuis son ouverture, mais aussi de recenser chaque résident, en établissant une fiche par artiste, avec une photo et une courte interview. Autant d’archives qui garderont une trace du commun et de l’éphémère.
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