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Comment le breaking est-il évalué aux Jeux olympiques ?

Le système d’évaluation, basé sur des points, a évolué depuis les années 1990 et s’est codifié avec les Jeux olympiques de la jeunesse de Buenos Aires en 2018. Au risque d’institutionnaliser un art basé sur l’informel. Dans le cadre de la rencontre « Battle de breakdance », organisée à la Bpi le 27 mai 2024, Balises explique comment les breakeur·euses sont noté·es aux Jeux olympiques de Paris.

Photo Beatriz Braga [CC0], pour Pexels.com

Le système d’évaluation du breaking remonte au Battle of the Year, compétition organisée en Allemagne depuis 1991. Le jury note les breakeur·euses (les B-Girls et B-Boys) sur leur technique, la richesse du vocabulaire scénique, les stratégies adoptées, mais aussi sur la capacité de réponse à l’adversaire et sur l’attitude envers le règlement, en leur attribuant des points allant de 1 à 10. En 2004, des battles médiatisés comme le Red Bull BC One, ont adopté ce système, considéré comme précurseur en la matière. Avec les Jeux olympiques de la jeunesse de Buenos Aires en 2018, la notation devient moins conventionnelle, les juges votant pour le danseur·euse qu’iels ont préféré. 

Une notation qualitative

Aux Jeux olympiques de Paris, l’épreuve de breaking se déroule sous la forme de battles solos et non-mixtes.16 B-Boys et B-Girls sont réparti·es dans des groupes de quatre et s’affrontent lors de battles de trois tours, appelés aussi « throw downs » (« au sol »). Sur scène, les breakeur·euses effectuent à tour de rôle leurs figures, pendant 60 secondes. Lors de leurs passages, un jury composé de neuf personnes évalue la performance et désigne le ou la vainqueur·euse de chaque tour. Celui ou celle qui en a remporté le plus, est qualifié·e pour la phase des quarts de finale, dite « knock-out », où iels s’affrontent de nouveau, pour accéder aux phases de demi-finale, puis de finale.

Les breakeur·euses sont évalué·es selon le système de la fédération mondiale de breaking. Les membres du jury sont muni·es d’une tablette sur laquelle iels ont la possibilité de déplacer cinq curseurs correspondant aux critères d’évaluation de la performance. Pour chaque critère, les breakeur·euses obtiennent un pourcentage, allant de 0 % à 20 %. Le ou la vainqueur·euse est celui ou celle qui a obtenu le plus haut pourcentage dans le score final.

Interface d’un système de notation employé par la fédération mondiale de breaking, avril 2024

Cinq critères d’évaluation

En technique, les juges évaluent différents aspects comme la gestion de l’espace, c’est-à-dire la manière dont les breakeurs·euses occupent la scène et s’approprient les angles, les lignes et les formes de celle-ci. Les directions et les orientations qu’iels donnent à leur corps participent à cette occupation de l’espace. La maîtrise du corps joue un rôle déterminant dans la réussite des figures et des mouvements. La respiration a par exemple un impact sur l’intention du mouvement dansé. Une respiration courte engendre un mouvement bref et brutal et, à l’inverse, entraîne un mouvement lent et profond lorsqu’elle est longue. Il en est de même de la minutie apportée dans la réalisation de la chorégraphie, qui rend compte d’un souci de perfection. Au même titre que les capacités athlétiques, élément clé d’évaluation sinon déterminant dans la note finale. 

Au cours du battle, les B-Girls et B-Boys doivent présenter une variété de mouvements et de figures. Ce faisant, les sportif·ves démontrent leur capacité à danser en rythme, mais aussi la flexibilité et le style de leurs mouvements. Le jury est aussi sensible à la maîtrise d’un vocabulaire de base. En premier lieu, le top rock où le breakeur·euse propose une entrée en matière en effectuant des pas et des gestes dansés. Cela peut être par exemple un salsa step ou un indian step, figures emblématiques que chaque danseur·euse doit maîtriser.

Les mouvements de type footworks, comme le CC, montrent les capacités de rapidité au sol. Certaines figures arrêtées très complexes sont par exemple appréciées du jury, comme le chair freeze, qui nécessite une torsion et donc une pose instable et difficile à effectuer. D’autres, comme le windmill, rotation effectuée sur le dos, jambes tendues et écartées, sont très douloureuses, mais peuvent apporter plus de points. Le jury prête attention à la répétition de ces motifs, le score final pouvant en être impacté.

L’habileté des B-Girls et B-Boys à exécuter proprement ces figures difficiles, sans chuter ou glisser de la scène, constitue le troisième critère d’évaluation. Les juges doivent être capables d’identifier tous les mouvements réalisés, voir si la chorégraphie est cohérente et fluide, si elle présente un aspect narratif à la manière d’un storytelling. Cette recherche de créativité, les breakeur·euses la démontrent dans leur capacité à être imaginatif·ves. La réalisation d’une variante sur un pas ou une figure apporte par exemple un plus, tout comme l’ajout d’un élément de danse traditionnelle. La personnalité et le style doivent transparaître immédiatement pour le jury. Dans n’importe quelle situation, les capacités des danseur·euses à improviser et innover sont prises en compte. Le freestyle constitue ainsi une preuve de la maîtrise de ces deux derniers paramètres.

Enfin, un·e breakeur·euse est noté·e sur sa capacité à « dialoguer avec la musique » et à s’adapter au rythme et à la texture de celle-ci. Sa manière de devancer les changements musicaux, d’y répondre et d’y faire écho. Selon l’intensité du morceau, les B-Girls et B-Boys peuvent varier l’énergie déployée. Iels jouent aussi avec le temps en proposant par exemple des figures complexes à la fin de son set pour clôturer le battle sur une note spectaculaire.  

Le breaking mis au pas

David Bérillon, professeur d’EPS et auteur de Danses hip-hop : breaking et danses debout, explique que les systèmes de notation sont apparus dans un souci de transparence, pour éviter toutes formes de polémiques et faciliter la compréhension du grand public. Ce formatage réglementaire est nécessaire, en particulier dans les grandes compétitions médiatisées. Il peut cependant dénaturer le breaking. 

Pour certain·es breakeur·euses, une notation trop stricte fait perdre à la discipline son sens originel. Selon elleux, c’est un mode d’expression artistique basé sur l’informel. L’aspect brut des figures réalisées est difficile à noter. Iels s’inquiètent ainsi d’une uniformisation de la discipline. La possibilité d’improviser peut s’en trouver également affaiblie. Les candidat·es aux Jeux olympiques vont en effet s’entraîner en anticipant les critères de notation. De plus, la réglementation olympique fait disparaître certains aspects constitutifs de « son ADN », comme la provocation verbale ou trashtalk. Il en est de même pour la tenue vestimentaire, remplacée par des vêtements réglementaires. Avec les Jeux olympiques, le breaking perd de son essence, mais gagne en notoriété.

Publié le 20/05/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Les danses de la culture hip-hop

Les Danses de la culture hip-hop

Milady Lubrano
l'Harmattan, 2018

Dans cet ouvrage, Milady Lubrano, activiste et B-Girl depuis 15 ans, retrace toute l’histoire des danses du mouvement hip-hop. Un chapitre détaille les différents styles du breaking. Sont cités, entre autres, le popping, danse à la croisée du funk et du G-funk, popularisée par la compagnie de danse Electric Boogaloos, mais aussi le locking, danse de club inspirée du jeu de scène de James Brown. L’autrice rappelle que le breaking est « une culture et un art d’expression corporelle et pas un sport ». Ces propos alimentent le débat entre les activistes et les institutions sur la place de cette danse aux Jeux olympiques de Paris.

À la Bpi, niveau 3, 792.84 LUB

Danses hip-hop

Danses hip-hop. Breaking et danses debout

David Bérillon, Mustapha Lahcen, Thomas Ramires
Éditions EP&S, 2020

Fruit d’un travail de recherche de 10 ans, cet ouvrage écrit par un collectif d’auteurs issus de l’enseignement, propose une approche pédagogique du hip-hop. Enrichies de photos et de témoignages de danseur·euses, trente pages détaillent les figures et les mouvements de base que les breakeur·euses devront reproduire aux Jeux olympiques de Paris. Un chapitre aborde la question de la notation du breaking, et de sa nécessité dans les battles médiatisés et les compétitions internationales, à des fins de transparence et de compréhension pour le grand public.

À la Bpi, niveau 3, 792.8(07) BER

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