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Appartient au dossier : Les femmes et le sport

Les sportives au défi du sexisme médiatique

L’invisibilité, les propos sexistes et commentaires genrés dans les médias sont autant d’obstacles que les sportives ont dû dépasser pour voir leurs performances reconnues au même titre que celles de leurs homologues masculins. À l’occasion du cycle « Les femmes aux JO » programmé d’avril à juin à la Bpi, Balises observe le traitement médiatique réservé aux sportives.

femme courant seule sur une piste d'athlétisme
Image par Roshan Rajopadhyaya de Pixabay [CC0]

Un sport féminin restrictif

La couverture des événements sportifs commence en 1854, avec le lancement du journal Le Sport, premier titre de presse sportive. Rapidement, le sport devient un sujet incontournable dans la presse, mais se décline essentiellement au masculin. En effet, si la société cautionne l’activité physique pour les femmes, elle préconise une activité modérée, à vocation hygiéniste et esthétisante, adaptée au corps des femmes. Un discours de 1912 de Pierre de Courbertin, l’inventeur des Jeux olympiques modernes, résume une opinion largement répandue à l’époque, et reprise dans les journaux : « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l’adulte mâle individuel. Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs. » 

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le sport féminin est plus proche d’une pratique élitiste de loisirs que du sport. Une minorité de femmes y a accès et, contrairement aux hommes, toutes les classes sociales ne sont pas concernées. Les activités sportives pratiquées par les femmes sont limitées au tennis, golf, yachting, aérostation, équitation, chasse, escrime, tir, canotage, excursions et ascensions, course automobile. « Certaines “femmes de sport” sont visibles, elles ont laissé des traces et des noms. Ainsi, des mondaines et des aristocrates, des pionnières, des championnes, quelques dirigeantes » remarque la chercheuse Catherine Louveau qui s’intéresse aux inégalités et à la place des femmes dans le sport. Bien souvent, celles dont on commente les performances sont entrées dans la discipline sportive dans le sillage d’un père, d’un frère ou d’un mari. 

Des sportives invisibles, un traitement genré

Les choix éditoriaux et le traitement journalistique du sport sont réalisés par des hommes. Au début du 20e siècle, à peine 3 % des journalistes en France sont des femmes et il n’y a aucune trace de femme journaliste sportive. Les premières rédactrices de reportages sportifs apparaissent vers 1944-1945. Il s’agit de la veuve du journaliste de Paris-presse (1904-193.), René Biere, qui obtient le poste de son mari à son décès, et de Germaine Herrina, fille d’un chroniqueur célèbre, qui a tracé son propre chemin dans le même domaine sportif que son père, la boxe. La situation s’est progressivement améliorée, mais les femmes journalistes de sport restent minoritaires : en 2022, 15 % des reporters sportifs sont des femmes.

Les championnes du début du 20e siècle font plus souvent la couverture des magazines féminins que celle des magazines sportifs, mais leurs compétences sportives en font d’excellentes conseillères en matière… de tenues sportives ou de publicité. Les pratiquantes de tennis, d’équitation ou de golf sont plus susceptibles d’être médiatisées. Lorsqu’elles sont nommées, leur nom est précédé d’un « mademoiselle » ou d’un « madame », tandis que les sportifs sont nommés sans dénomination sociale et souvent juste par leur nom de famille.

Une du journal Le Miroir des sports, avec une photo de la joueuse de tennis Suzanne Lenglen jouant en mixte
Suzanne Lengen en couverture d’un magazine sportif.
Le Miroir des sports, 8 juillet 1920 (source Insep) Gallica, BnF.



Si les sportives de la fin du 20e siècle à aujourd’hui occupent les unes de presse sportive plus régulièrement, « les images médiatisées des sportives confortent l’importance des conceptions « traditionnelles » de la féminité » explique Christine Menesson en 2004. Leur corps est érotisé et rarement présenté en pleine action, le récit de leurs exploits est relégué au second plan. De plus, la sportive est sans cesse ramenée à son genre, comparée à son homologue masculin, comme si le sport féminin était un sous-genre.

Une étude de l’association Les Dégommeuses s’est penchée sur le traitement médiatique du foot féminin en 2017 et a dépouillé près de 188 journaux en France. Le constat est sans appel : le foot féminin est peu traité (2 % des articles sur le football). Non seulement il occcupe une place subalterne, mais il est utilisé pour promouvoir le foot masculin.

Des stéréotypes et du sexisme

Une autre étude de 2018 s’intéresse au discours journalistique à propos du Championnat du monde dames de handball 2017 et repère, malgré la vigilance des relecteur·rices, des propos paternalistes. En comparant le traitement du championnat hommes, l’autrice Julia Téfit note que les joueurs sont nombreux à être nommés, alors que leur homologues féminines sont peu individualisées. Elles forment une bande, souvent surnommée familièrement « les filles d’Olivier Krumbholz ».

Les propos sexistes sont beaucoup moins fréquents qu’au début du 20e siècle, grâce aux combats féministes et aux politiques pour l’égalité dans le sport. Il s’agit souvent de propos rapportés qui ne sont pas ceux du ou de la journaliste. Dans les directs, les journalistes modèrent moins facilement les discours. La scène diffusée en 1987 dans laquelle Marc Madiot, manager de l’équipe Groupama-FDJ critiquait la championne cycliste Jeannie Longo, et à travers elle tout le cyclisme féminin, pourrait difficilement se reproduire. Il avait déclaré : « Je suis contre le cyclisme féminin. Vous vous êtes moches, je suis désolé. Je regarderai le cyclisme féminin le jour où elles mettront des maillots, des cuissards et des chaussures un peu plus jolis. ». Quand désormais les journalistes ou des dirigeants sportifs dérapent et tiennent des propos sexistes, les réactions du public, des sportives et des associations militantes sont immédiates. Par exemple, le journaliste australien David Basheer fait scandale en 2023 en lâchant cette petite phrase à propos d’une joueuse de football : « La maternité n’a certainement pas émoussé son instinct de compétitrice, c’est certain. »

Mais le sexisme ordinaire persiste, se nichant dans les termes employés pour décrire le jeu ou la plastique de l’athlète, souvent qualifiée de « féminine » et « délicate », ou sur la teneur des questions posées aux championnes, qui n’ont rien à voir avec le sport. Sous prétexte d’humour, des métaphores sont filées à partir de stéréotypes, comme lorsque Michel Izard parle grâce et tricot en juin 2019 au Journal de 13 h, dans ses commentaires sur la Coupe du monde féminine. C’est aussi dans les médias que les auteur·rices de ces propos sont finalement tenu·es de se justifier ou de s’excuser.

Publié le 06/05/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

« La complexe médiatisation des sportives de haut niveau », par Sandy Montañola | Sciences de la société, 83 | 2011

Cet article analyse la représentation médiatique des sportives de haut niveau à l’occasion des championnats du monde d’athlétisme de 1999 et de 2003. Il confronte les deux principaux résultats de la littérature scientifique, la sexualisation et la trivialisation, à l’analyse d’un corpus médiatique et met à jour la nécessité d’étudier conjointement les représentations féminines et masculines pour ne pas se limiter à un relevé des discriminations sexuées. (Résumé de la plateforme OpenEdition)

Être une femme dans le monde des hommes : socialisation sportive et construction du genre

Christine Mennesson
l'Harmattan, 2005

En partagant l’expérience des footballeuses, boxeuses et femmes haltérophiles de haut niveau, cette étude aborde les conséquences de l’entrée des femmes dans des mondes traditionnellement réservés aux hommes. Elle tente d’appréhender les conditions sociales favorisant cet investissement et de comprendre comment les femmes gèrent les contradictions produites par leurs carrières sportives.

À la Bpi, niveau 2, 305.79 MEN

Genre et médias : quelles représentations ?

Emmanuelle Bruneel
L'Harmattan, 2022

Sept études de cas sur les représentations de genre dans les médias français, abordées aussi bien sous un angle sémiotique et discursif que social et politique. La mode, les violences faites aux femmes, la grossesse et le sport, le congé de paternité et l’intersectionnalité sont notamment abordés. © Électre 2022

À la Bpi, niveau 2, 301.12 BRUN

« Sport féminin : les médias sociaux ont-ils réussi là où les médias traditionnels ont échoué ? », par Helmi Issa et Roy Dakroub | The Conversation, novembre 2023

Depuis quelques années, les athlètes de haut niveau s’emparent des plates-formes comme Instagram ou TikTok pour changer la perception du public sur l’image traditionnellement véhiculée.

Histoire du sport féminin

Centre de recherche et d'innovation sur le sport (Villeurbanne, Rhône)
L'Harmattan, 1996

Issus d’un colloque organisé par le Centre de Recherche et d’Innovation sur le Sport de Lyon, en décembre 1994, ces textes s’interrogent sur les conditions d’apparition et de transformation du sport au féminin ainsi que sur les résistances et oppositions qu’il a provoquées.

À la Bpi, niveau 2, 305.79 HIS

« Sport au féminin, une course de longue haleine », par Lydia Mazars | Le blog Gallica, Bnf, mars 2024

À partir de la fin du 19e siècle, nombreuses sont les représentations de la femme sportive. Pratique physique féminine et place des femmes dans le sport sont au cœur des débats, entre manuels de bonne conduite et plaisirs de l’activité physique suscitant de nouvelles postures, émancipées et libérées.

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