Twitter contribue à façonner l’opinion publique grâce à deux atouts majeurs : sa réactivité et sa communauté de journalistes et de politiques qui se font l’écho du réseau, y compris dans les médias traditionnels. Mais les virtuoses de la provocation ou de la désinformation en ont fait leur terrain de jeu. Samuel Laurent, journaliste et invité de la rencontre « Twitter va-t-il tuer la #démocratie ? » proposée en ligne par la Bpi, le 15 février 2021, s’inquiète du pouvoir toxique de Twitter, et il n’est pas le seul.
Twitter est l’un des réseaux les plus utilisés dans le monde avec ses 186 millions d’utilisateurs journaliers actifs dont 12 millions en France, en juin 2020. Il est le quatrième réseau consulté pour s’informer et il est considéré par 62 % de ses utilisateurs comme la plateforme où l’information est diffusée le plus rapidement. 57 % des utilisateurs viennent suivre l’évolution de l’information sur Twitter.
Un format court et réactif
76 % des personnes inscrites sur Twitter sont des utilisateurs quotidiens des réseaux sociaux. 40 % d’entre eux utilisent Twitter tous les jours ou presque, 22 % au moins une fois par semaine, 11 % au moins une fois par mois (Digimind.com, 2020). Ces twittos, comme on les nomme, postent souvent plusieurs fois par jour, et leur production correspond en moyenne à 6 000 tweets et 360 retweets (partage d’un tweet) par seconde.
92 % des réactions, par retweet (6 %) ou réponse (23 %), sont envoyées dans la première heure, nous apprend Dominique Boullier, sociologue et linguiste, spécialisé dans le numérique et l’économie de l’attention, dans son essai Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux (octobre 2020). Ce spécialiste rappelle que l’objectif des réseaux sociaux est de capter l’attention de son public pour la vendre aux marques. Les concepteurs des réseaux conçoivent un circuit de la récompense en produisant un classement, en créant de la nouveauté et en facilitant la réactivité.
Mais ce circuit est truqué car les algorithmes créent des bulles d’opinion pour produire de l’engagement en proposant à l’utilisateur du contenu susceptible de lui plaire. 60 % des twittos partagent un contenu qu’ils n’ont pas lu mais qu’ils considèrent comme fiable puisqu’il les conforte dans leurs idées. Non seulement le débat n’a pas lieu mais l’émotion crée de la réactivité, et celle-ci participe à la diffusion des fake news ou infox.
Une communauté de journalistes et de dirigeants très active
Dominique Boullier s’intéresse plus particulièrement à Twitter en raison du profil des twittos. Le rythme de publication y est intense et l’information est résumée. Cet efficace système d’alertes attire les journalistes, les people, les marketeurs et les politiques.
Dans son livre J’ai vu naître le monstre. Twitter va-t-il tuer la #démocratie ? (février 2021), Samuel Laurent explique que les journalistes se sont emparés de Twitter comme outil de travail. Aux États-Unis, 83 % des journalistes utilisent régulièrement Twitter, selon une étude menée par la plateforme MuckRack en 2019. Les politiques et les activistes ont commencé à rejoindre le réseau à partir de 2012.
Cet entre-soi favorise une vision biaisée des sujets qui agitent la société. Les journalistes interprètent les réactions d’indignation de Twitter comme des tendances et viennent nourrir des polémiques, mineures pour le reste de la société. Les virtuoses de la provocation cultivent leur notoriété à coup de clash, de buzz ou de reprises de polémiques sur le réseau. Leurs positions tranchées leur permettent d’être invités par d’autres médias, notamment par les chaînes d’informations en continu très friandes du format débat, peu onéreux à mettre en place et rentable au niveau de l’audience.
La course aux fake news
Samuel Laurent a longtemps travaillé à la rectification des faits dans la rubrique Les Décodeurs du Monde . Il a constaté le fragile équilibre à trouver entre la rectification des faits et le risque de mettre en lumière une rumeur qui s’éteindrait d’elle-même. Car pour beaucoup, rétablir la vérité par les faits ou les données, c’est excuser les auteurs des faits supposés ou masquer la vérité pour les protéger. La colère des twittos se retourne alors contre le fact-checker (le vérificateur par les faits) et génère parfois plus de bruit que la polémique d’origine.
D’autre part, le nombre de publications et de retweets à vérifier est énorme et les auteurs d’informations polémiques compliquent la tâche en renversant la charge de la preuve. Cela signifie qu’ils publient souvent des affirmations sans données ou arguments, et que ce sont les personnes qui réfutent ces affirmations qui se trouvent obligées de prouver en quoi elles sont fausses. Les vérificateurs sont donc contraints de passer beaucoup de temps à expliquer et rectifier tous les dires pour lever le doute. Dans ce contexte très agressif, le fact-checking est en retard constant sur la circulation des fake news.
La modération de Twitter suscite de nombreuses réactions et est jugée globalement inefficace, voire insuffisante. La suppression du compte Twitter de Donald Trump, auteur de plus de 20 000 fake news depuis le début de son mandat et de tweets incitants à la haine a été tardive. Elle a fait couler beaucoup d’encre entre les partisans de la liberté d’expression et ceux de la modération. L’article du Monde : « Pourquoi la modération de Twitter fonctionne si mal » du 5 février 2021 reproche au réseau une politique obscure et un manque de moyens.
Twitter et d’autres réseaux sociaux sont envahis par les propos incivils, agressifs et mensongers qui compromettent la liberté d’expression et menacent la démocratie.
Article issu du n° 1577 du 21 janvier 2021, à consulter à la Bpi.
Dans un témoignage puissant, en forme d’avertissement, Samuel Laurent enquête sur le monstre qu’est devenu Twitter, un réseau où chacun s’invente une vérité, où l’indignation vertueuse et la manipulation règnent. C’est pourtant là que les politiques et les journalistes scrutent le moindre mouvement d’opinion, au risque de créer des « bulles d’information » qui s’auto-alimentent. Au point de tuer la démocratie ?
(Résumé de l’éditeur.)
Dominique Boullier analyse comment les réseaux sociaux exploitent notre attention et encombrent l’espace public jusqu’à nous empêcher de traiter les enjeux de long terme. Il propose également des solutions pour enrayer le phénomène de réplication et nous permettre d’utiliser les plateformes sans les subir.
Une étude scientifique menée par trois chercheurs finlandais et un chercheur qatari, publiée le 19 février 2018, a étudié des milliards de tweets sur une période de huit années. Elle met en évidence que la majorité des utilisateurs de Twitter sont en contact avec des personnes qui partagent les mêmes opinions qu’eux et constituent des « chambres d’écho ».
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